Comment guider le cardiologue dans la prise en charge des patients suivis en oncologie ?

Nous sommes tous amenés à un moment de notre « vie de cardiologue » à suivre en consultation des patients traités ou ayant été traités pour un cancer. Nous savons que certains anticancéreux peuvent avoir des conséquences cardiologiques, sans pour autant forcément adapter le suivi et les traitements de nos patients.

La sous-spécialité de cardio-oncologie a pour objectif une prise en charge spécifique de ces patients et permet un échange entre oncologues et cardiologues. Cet article n’a bien entendu pas la prétention de dresser un tableau exhaustif de cette prise en charge, mais d’aborder de façon synthétique quelques points d’orientation pour aborder « plus sereinement » le suivi de nos patients.

Les traitements anticancéreux « chimiques » vus par le cardiologue : n’ayons pas peur des mots, la plupart du temps, ces traitements nous effraient ! Comment s’y retrouver ?

De façon simplifiée : il existe trois « grandes classes » thérapeutiques

  • Les chimiothérapie “anciennes” : par action sur l’ADN et sur la transcription en ARN : inhibiteur de la topoisomérase (ex. anthracyclines), poison du fuseau et taxanes, agents alkylants (ex. cyclophosphamide), antimétabolites (ex. 5 FU).
  • Les thérapies ciblées sur les cellules cancéreuses : AC monoclonaux (ex. Herceptin), inhibiteurs de la tyrosine kinase (ITK). Antiangiogénique (antiVEGF).
  • L’immunothérapie : action sur les voies de signalisation, inhibiteurs du « check-point ».

Ces traitements sont susceptibles d’entrainer des complications cardiovasculaires, selon des fréquences différentes, dont les principales sont :

  • La dysfonction VG : mécanismes différents selon les classes :
      • chimiothérapie “ancienne” = nécrose myocytaire irréversible = Type I = accumulatif
      • thérapies ciblées = nécrose myocytaire réversible = Type II = suspensif
  • La myocardite
  • Les thromboses veineuses
  • La fibrillation auriculaire
  • L’HTAP
  • L’allongement du QTc
  • L’ischémie myocardique, les occlusions artérielles périphériques

Ces complications cardiovasculaires peuvent survenir de façon aiguë ou chronique.

Les objectifs de la consultation de cardiologie sont de plusieurs types :

  1. Prévenir : un patient traité pour un cancer est un patient à plus haut risque CV.
  2. Détecter et traiter les complications CV : prendre en charge le patient sur le versant cardiologique mais également guider l’oncologue : ne jamais contre-indiquer trop vite un traitement oncologique.

Ces objectifs ne peuvent être atteints qu’avec une connaissance minimale des effets secondaires des anti-cancéreux et notamment des « effets classe » de certains :

  • Antiangiogéniques : HTA, ischémie, protéinurie
  • Anti HER2 (ex: trastuzumab = herceptin) : dysfonction VG
  • ITK : HTA, allongement du QTc, dysfonction VG
  • Immunothérapie : myocardite
  • Immunomodulateurs : thromboses veineuses

Et des « sous spécificités » de certaines classes ITK :

  • Dasatinib : HTAP ;
  • Ibrutinib : FA et contre-indication d’un traitement par cordarone car risque de surdosage en cordarone. Hémorragie par effet antiagrégant plaquettaire : un patient traité par Ibtrutinib et ayant bénéficié d’un stent actif coronaire ne peut en aucun cas avoir une double antiagrégation plaquettaire : seul le plavix sera administré en association à l’Ibrutinib ;
  • Nicotinib, Ponatinib : thromboses artérielles et athérosclérose accélérée.

De là, découle une surveillance adaptée : si anticancéreux à risque de complications CV : interrogatoire, ECG, ETT +/- biomarqueurs (BNP / troponine) : avant le début du traitement anticancéreux, parfois à 1 mois, puis tous les 3 mois pendant toute la durée du traitement. Mais également, pour certains anticancéreux, après la fin du traitement tous les 6 mois pendant 2 à 5 ans.

La prise en charge d’une dysfonction VG est la complication la plus redoutée. La toute première question est celle des symptômes (stade NYHA) :

  • si symptômes : suspension du traitement anticancéreux
  • si pas de symptômes : la prise en charge est fonction de l’altération de la FEVG
      • Légère : FEVG ≥ 50% et GSL > 15%
      • Modérée : FEVG 40 à 49%
      • Sévère : FEVG < 40%

Conduite à tenir

  • « Légère» : poursuite du traitement anticancéreux si GSL < 15% surveillance rapprochée ;
  • « Modérée » : poursuite du traitement anticancéreux, traitement cardiologique (IEC, ARAII, bétabloquants), et surveillance rapprochée ;
  • « Sévère» : suspension du traitement anticancéreux et réévaluation : si récupération de la FEVG > 40% (toxicité de type II), possibilité de reprendre le traitement anticancéreux (au cas par cas selon le traitement anticancéreux).

Cas particulier de la myocardite = Tableau aigu ou subaigu après immunothérapie : pas de “rechallenge” même si récupération de la FEVG.

En cas de toxicité de type I (accumulative), dans le cas d’un traitement par anthracyclines, il faut connaître la « dose cumulative » qui expose à une dysfonction VG : doxycycline : dose d’alerte 250 mg/m2, dose max 550 mg/m2 ; epirubicine dose d’alerte 600 mg/m2, dose max 900 mg/m2.

L’auteur n’a pas de liens d’intérêts liés à cet article.

Ludivine Perdrix, Issy-les-Moulineaux

 

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