Un traitement non invasif par thérapie ultrasonore du rétrécissement aortique calcifié : du rêve à la réalité

Je me propose ici de retracer dans ce court article l’aventure Cardiawave ou comment une idée plutôt  saugrenue a pu se traduire en une réalité clinique avec un dispositif médical unique au monde développé  par une start-up française Cardiawave, spin-off de l’université de Paris Cité, du CNRS et de l’Inserm. 

Genèse

Très tôt pendant mon internat de cardiologie à Paris  passant dans les grands centres de cardiologie et de  chirurgie cardiaque de la capitale et plus particulièrement  de l’hôpital Broussais et de Boucicaut, j’étais frappé par  la lourdeur des interventions valvulaires cardiaques et de  leur caractère très invasif impliquant une chirurgie à cœur  ouvert avec sternotomie à la scie électrique et circulation  extracorporelle, alors que la fonction myocardique était  globalement conservée. Sous la direction des Professeurs  Albert Hagège et Michel Desnos qui m’ont soutenu tout  le long de ma carrière, j’entreprends un master d’imagerie.  Ils m’envoient ensuite en post doc (1999-2001) dans le  laboratoire d’échocardiographie du Pr Robert A Levine  (Massachussetts General Hospital, Harvard Medical  School, Boston, MA, USA), avec qui je collabore encore  maintenant. Ce passage clé m’a permis d’appréhender  les ultrasons cardiovasculaires non pas comme un  seul outil d’imagerie mais comme un outil de meilleure  compréhension des maladies valvulaires afin d’améliorer  leur traitement en développant ainsi une nouvelle  technique de réparation de la fuite mitrale secondaire  encore utilisée actuellement, la section des cordages  basaux ou « chordal cutting ». Pendant ce fellowship  j’ai pu aussi observer l’impact majeur de l’interaction  médecins chercheurs, physiciens et ingénieurs : nous  avions effectivement une fois par mois des réunions au  Massachusetts General Hospital-Massachusetts Institute  of Technology (MIT) afin de transférer les applications  physiques ou d’ingénierie aux problématiques des  cliniciens et chercheurs en cardiologie.  

 

L’émergence d’un concept

A mon retour en France, je voulais perpétuer cette méthode  et j’ai commencé une collaboration avec l’équipe de  l’Institut Langevin de Mathias Fink de l’Ecole Supérieure  de Physique et de Chimie Industrielles (ESPCI) puis  ensuite celle de Michael Tanter de l’Unité Inserm Physique  pour la médecine. C’est lors d’une réunion en 2010 dans  le laboratoire de recherche du Pr Carpentier alors que je  présentais l’ensemble des progrès extraordinaires réalisés  par l’équipe de Mathias Fink et Michael Tanter, leader  mondial dans le domaine des ultrasons, que cette idée  m’est venue avec mon alter ego physicien Mathieu Pernot,  ancien de Columbia University et membre de l’équipe de  Michael Tanter. Cette équipe a développé des techniques  d’ultrason fascinantes et avant-gardistes comme  l’échographie UltraFast, l’élastographie ShearWave  Imaging, le Doppler vectoriel (avec des applications  vasculaires étudiées dans le service de médecine vasculaire  de l’HEGP grâce au Pr Joseph Emmerich qui me fi t venir en  tant que PUPH dans le service) basées sur le retournement  temporel des ondes et aussi des techniques de thérapies  par ultrason privilégiant les phénomènes de cavitation  plutôt que de HIFU (High Intensity Focused Ultrasound).  L’idée était donc double : se baser sur le concept de  réparation valvulaire du Professeur Alain Carpentier en  ciblant la dysfonction valvulaire en l’occurrence, pour le  RAC, la restriction du mouvement des feuillets calcifiés et  rigides tout en conservant la valve native et deuxièmement  réaliser cela de façon non invasive en utilisant des ultrasons  à très haute pression et à très haute fréquence, guidés en  temps réel par une échocardiographie transthoracique.  Le but étant de ramollir les feuillets, de baisser leur rigidité  et ainsi d’améliorer leur mobilité pour permettre une  amélioration de la surface d’ouverture aortique.  

En 2010 le TAVI inventé par le Professeur Alain Cribier en  2002 commençait déjà à s’imposer en pratique clinique et  faisait déjà des merveilles mais soulignait aussi combien  ces patients étaient fragiles et porteurs de nombreuses  comorbidités et susceptibles donc de bénéficier de  techniques moins invasives. Depuis, le TAVI est encore  plus performant et est appliqué à des patients de plus en plus jeunes posant alors la problématique de la durabilité  et de la nécessité de réintervenir, avec des interventions  de « valve in valve ». Une procédure non invasive pouvant  reculer le plus longtemps le TAVI permettrait peut-être  ainsi d’éviter deux interventions pour ces patients.  

Les étapes techniques initiales

Il fallait donc commencer à faire la preuve du concept et  pour les dispositifs médicaux on passe par les tests in vitro et  in vivo avant de passer chez l’homme. Problème, il n’existe  pas dans le monde de modèles animaux ou in vitro de RAC  susceptibles de mimer la maladie humaine. Ainsi, avec  Mathieu Pernot et notre thésard de sciences de l’époque  Olivier Villemain, nous avons réalisé un modèle in vitro  utilisant des bancs hydrauliques mimant le débit cardiaque  avec à sa sortie des valves biologiques aortiques porcines  calcifi ées explantées de patients opérés pour bioprothèses  sténosantes. Nous avons développé dans le même temps  un transducteur de thérapie d’ultrasons permettant la  cavitation couplée à une sonde d’échographie. Cette  technologie « non invasive ultrasound therapy » (NIUT)  émet de courtes impulsions ultrasonores à haute pression  à travers les tissus pour générer au niveau de la zone cible  (les feuillets valvulaires calcifi és), un nuage de cavitation  énergétique composé de bulles microscopiques dont  l’implosion va permettre la création d’ondes de choc qui  vont venir fragmenter les calcifications à l’intérieur du tissu  

valvulaire pour redonner de la souplesse à la valve. 

Les résultats initiaux sont très prometteurs : on est capable  de diminuer de 50% le gradient de ses valves après une  heure de thérapie et on corrèle ces résultats à la diminution  de la rigidité évaluée de façon non invasive par le  ShearWave imaging, technique d’élastographie développée  par l’Institut Langevin et l’Unité Inserm la Physique pour  la Médecine (U1273). Forts de ces résultats il nous fallait  absolument une validation in vivo. En l’absence de modèle  de RAC, l’idée a été d’implanter sous CEC des bioprothèses  calcifiées serrées prélevées chez des patients en position  mitrale chez le mouton et d’évaluer l’effet de la cavitation  ultrasonore sur le gradient valvulaire et la surface d’ouverture  et ce thorax ouvert en aigu. Cette expérimentation était très  complexe et a nécessité toute l’équipe du labo gros animal  de la fondation Carpentier et d’un chirurgien cardiaque  Alain Bel avec qui je collaborais déjà depuis des années sur  d’autres modèles expérimentaux.  

 

Naissance d’une start-up

Les résultats positifs sont publiés sur le JACC Basic Trans  Sciences en 2017 (Figure 1), alors qu’on avait déjà fondé en  2015 avec l’équipe de physiciens de l’Institut Langevin la start Figure 1. Représentation schématique des 

up Cardiawave, spin-off de l’université de Paris, du CNRS et de  l’Inserm dirigé et cofondé par notre talentueux CEO Benjamin  Bertrand toujours à la tête de cette start-up 7 ans après.  

 

 

Cette start-up a la chance d’avoir comme membres de son  conseil scientifique les Professeurs Alain Cribier, Roxana  Merhan, Robert A Levine et les équipes de physiciens de  l’ESPCI. Ce soutien entrepreneurial nous a permis alors  de développer des prototypes de dispositifs médicaux  de thérapie par ultrasons non-invasive (dispositifs de  NIUT) de plus en plus performants, pouvant générer des  ultrasons de haute énergie et haute fréquence qui ont la  capacité de focaliser à travers la cage thoracique sur un  point focal donné sur la valve aortique et de déplacer  le point focal latéralement et en profondeur grâce à un guidage mécanique et électronique impliquant l’utilisation d’un transducteur multi-annulaire. Cette sonde émet de  courtes impulsions ultrasonores à haute pression qui  vont fragmenter les calcifications. 

Le dispositif Valvosoft est un appareil mobile utilisant  des ultrasons thérapeutiques non invasifs, guidés par un  système d’imagerie échocardiographique qui permet de  suivre en temps réel les mouvements de la valve aortique  pour cibler avec précision la zone d’effet des ultrasons  thérapeutiques. Un bras robotique motorisé facilite le  guidage et le positionnement de l’applicateur au bout  duquel est attaché le transducteur de thérapie et la sonde  d’imagerie échocardiographique (Figure 2).

 

 

 Le passage à la clinique

Sur la base de ces résultats précliniques très prometteurs, une étude clinique (Valvosoft® FIM study) a  démarré en 2019. Quarante patients avec un RAC  sévère symptomatique, non éligibles au remplacement  valvulaire, ont été traités avec ce dispositif de NIUT (France,  Pays-Bas et Serbie). Les résultats très encourageants sur  l’efficacité et la sûreté de ce dispositif ont permis d’améliorer  significativement la condition de vie des patients en réduisant  la sévérité de leur RAC avec des diminutions des gradients  de pression aortiques et une augmentation marquante  de la surface d’ouverture aortique. Les résultats des 10  premiers patients réalisés sur l’HEGP et l’Amphia Hospital en  Hollande sont publiés dans Circulation en mars 2021. 

La période de crise sanitaire 2019-2021 a freiné les activités  cliniques, les difficultés d’accès aux hôpitaux ainsi que les  restrictions de voyage ont empêché la bonne tenue des  études cliniques. Cardiawave a su faire preuve de créativité  et a redoublé d’efforts en proposant aux opérateurs hors  de l’HEGP de traiter des patients en présence d’un support  technique délivré via une interface de suivi vidéo/audio  permettant de suivre les procédures de France directement  sur place par Cardiawave, et sous ma direction..

La fin de la crise sanitaire, et en dépit des nombreuses  restrictions qui ont suivi, a néanmoins permis à  Cardiawave de terminer la première étude clinique  avec le traitement des derniers patients au premier  semestre 2022 à Belgrade, en Serbie, pays européen  où l’accès aux soins est plus difficile. Le succès obtenu  sur les patients traités avec le dispositif de Cardiawave  ouvre le champ des possibles dans les pays à forte  densité. Cette étude à Belgrade a permis de réaliser des  IRM cérébraux avant et après procédure démontrant  l’absence d’AVC asymptomatiques chez ces patients.  Finalement, c’est un total de 40 patients qui ont été  traités par la version 1 de Valvosoft avec pour certains  un suivi de 24 mois. Aucun événement grave n’a été  enregistré pendant la procédure : pas d’infarctus,  pas d’AVC ni de décès per procédure. La faisabilité et  l’innocuité de cette technique sont donc démontrées  chez ces patients très sévères, contrindiqués au TAVI  ou à la chirurgie. Une amélioration de 21 % de l’AVA  a été retrouvée chez ces patients.  

Depuis Juin 2022, Cardiawave a initié une étude en vue  de l’obtention du marquage CE (Valvosoft® Pivotal  Study), avec une nouvelle génération du dispositif

 

Valvosoft qui améliore grandement les fonctionnalités  de la première version, notamment pour les médecins : – système d’imagerie amélioré,  

– meilleure maniabilité,  

– nouvelle interface intuitive avec de nouvelles  fonctionnalités de traitement.

 

Le tout embarqué dans un nouveau dispositif plus compact. 

L’étude CE multicentrique (France, Pays-Bas, Allemagne)  se poursuit, huit patients ont pu bénéficier du traitement  par NIUT proposé par Cardiawave avec cette nouvelle  génération du dispositif, toujours avec d’excellents résultats  (Figure 3)

 

 

 Le futur

De nombreux challenges persistent : 

– Améliorer le dispositif avec une meilleure imagerie utilisant du 3D temps réel. 

– Traiter des patients moins graves en ciblant les patients avec RAC de sévérité moyenne. 

– Enfin probablement répéter cette thérapie plusieurs fois sur un même patient en ambulatoire (déjà réalisés  sur quelques patients) afin améliorer l’efficacité et la  pérennité du résultat obtenu.  

Pour conclure, lorsque j’ai écrit cet article, j’ai pris  conscience du chemin parcouru, de l’effort d’équipe  multidisciplinaire et du temps passé (plus de huit ans)  afin de transformer une idée et une hypothèse en réalité  clinique avec la mise au point d’un dispositif dédié unique  au monde, et des essais cliniques en cours. L’aventure  n’est pas fi nie. Au contraire elle ne fait que commencer et  a besoin de l’aide de toute la cardiologie et des industries  d’imagerie afin de poursuivre cette voie du tout non invasif  dans le traitement des maladies valvulaires cardiaques.  

 

Emmanuel Messas, APHP, Paris

 

RÉFÉRENCES

  1. Messas E, IJsselmuiden A, Goudot G, Vlieger S, Zarka S, Puymirat E, Cholley B, Spaulding  C, Hagège AA, Marijon E, Tanter M, Bertrand B, Rémond MC, Penot R, Ren B, den Heijer  P, Pernot M, Spaargaren R. Feasibility and Performance of Noninvasive Ultrasound Therapy in  Patients With Severe Symptomatic Aortic Valve Stenosis: A First-in-Human Study. Circulation.  2021 Mar 2;143(9):968-970. doi: 10.1161/CIRCULATIONAHA.120.050672. Epub  2021 Jan 25. PMID: 33486971. 
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  3. Messas E, Rémond MC, Goudot G, Zarka S, Penot R, Mateo P, Kwiecinski W, Escudero  DS, Bel A, Ialy-Radio N, Bertrand B, Bruneval P, Marijon E, Spaargaren R, Tanter M, Pernot  M. Feasibility and safety of non-invasive ultrasound therapy (NIUT) on an porcine aortic valve.  Phys Med Biol. 2020 Oct 26;65(21):215004. doi: 10.1088/1361-6560/aba6d3. PMID:  33104523. 
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