Recommandations ESC 2022 pour le diagnostic et le traitement de l’hypertension
pulmonaire : que retenir en pratique clinique pour un cardiologue ?

Fruit d’une collaboration entre les Sociétés Européennes de Cardiologie (ESC) et de Pneumologie (ERS), les nouvelles recommandations sur l’hypertension pulmonaire étaient très attendues par la communauté scientifique. F ¹,²

Un mot d’épidémiologie

L’hypertension pulmonaire (HTP) est un problème de santé publique mondial qui affecte toutes les classes d’âge, avec une prévalence estimée à environ 1% de la population mondiale.¹,²

La première cause est l’HTP liée aux pathologies cardiaques gauches (groupe 2) affectant environ 50% des patients insuffisants cardiaques (IC), suivie des maladies pulmonaires (groupe 3).³

Quelle qu’en soit la cause, l’HTP est associée à une aggravation des symptômes et du pronostic.

Définitions et classifications : quels changements ?

Le diagnostic d’HTP repose sur la mesure, par cathétérisme cardiaque droit, d’une pression artérielle pulmonaire moyenne (PAPm) > 20 mmHg au repos.

Il est ensuite essentiel d’y associer un niveau de résistances vasculaires pulmonaires (RVP) et de pression artérielle pulmonaire d’occlusion (PAPO) pour différencier :

  • Une HTP pré-capillaire : PAPm > 20 mmHg, PAPO ≤ 15 mmHg et RVP > 2 UW.
  • Une HTP post-capillaire : PAPm > 20 mmHg, PAPO > 15 mmHg, qui est soit :
    Isolée si les RVP ≤ 2 UW
    Combinée si les RVP > 2 UW

En plus de cela, on parle d’HTP à l’effort si la pente PAPm/ débit cardiaque est supérieure à 3 mmHg/L/min entre le repos et l’effort.

Cette nouvelle définition soulève au moins 3 commentaires :

  • Premièrement, le niveau de PAPm a été abaissé à 20 (contre 25 antérieurement) car il rend compte des valeurs limites supérieures chez des sujets sains et de la valeur pronostique de celles-ci.4,5
    Le niveau de RVP a aussi été abaissé à 2 pour les mêmes raisons.
    Néanmoins, il n’est pas recommandé de débuter un traitement lorsque la PAPm est < 25 mmHg et les RVP < 3 UW mais de suivre de façon plus rapprochée ces patients.
  • Deuxièmement, les termes d’HTP « fixée » ou « réactive » doivent être abandonnés, tout comme l’utilisation des gradients transpulmonaires et diastoliques pour la classificati on des HTP post-capillaires.
  • Troisièmement, certains pati ents avec une PAPm > 20 mmHg peuvent avoir des RVP ≤ 2 et une PAPO ≤ 15 mmHg.
    C’est souvent le cas des situations d’hyperdébit (hyperthyroïdie, cardiopathie congénitale, hépatopathie…).
    Même s’ils ont une HTP, le terme de maladies pré-capillaires (rendant compte d’une maladie vasculaire pulmonaire), ne peut être retenu.
    Il est conseillé de suivre ces patients et de traiter l’étiologie de l’hyperdébit.

Alors que la définition est « hémodynamique », la classification repose sur une approche systématique et nécessite un bilan exhaustif complet (abordé ci-après).

Cette classification en 5 groupes ne change pas, si ce n’est que l’on parle d’HTP associée aussi pour les groupes 2, 3 et 4 (Tableau 1).

Une nouvelle stratégie diagnostique

L’approche diagnostique est centrée sur deux objectifs.
Tout d’abord, assurer le diagnostic et le rapprochement vers un centre de compétences ou de référence le plus précocement possible. Ensuite, identifier les causes pouvant être à l’origine et/ou associées (groupe 2 et 3 notamment) et les comorbidités.

L’algorithme diagnostique a été modifié et peut être divisé en 3 étapes :

  • Etape 1 (la suspicion) : basée sur l’examen clinique, l’ECG et un bilan biologique ;
  • Etape 2 (la détection ou dépistage) : basée sur l’échocardiographie (Figure 1 et Tableau 2) ;

  • Etape 3 (la confirmation) : en cas de probabilité intermédiaire à haute ou en présence de facteurs de risque d’HTAP ou d’histoire d’EP, un cathétérisme cardiaque droit en centre de compétences/référence est indiqué. Les valeurs de référence sont résumées dans le Tableau 3.

Ainsi, l’algorithme diagnostique proposé par les nouvelles guidelines est résumé au niveau de la Figure 2.

Hypertension pulmonaire liée aux maladies du cœur gauche (groupe 2)

C’est la forme la plus fréquente d’HTP (65 à 80% des cas), qui, dans tous les cas, aggrave le pronostic des patients.³ Même s’il est difficile d’estimer précisément la prévalence de l’HTP chez les patients IC, des études observationnelles estiment qu’elle concerne 40 à 72% des IC à FEVG altérée et 36 à 83% des IC à FEVG préservée. Parmi ces patients, environ 20 à 30% ont une HTP post capillaire combinée.¹,²
En termes de stratégie diagnostique, l’algorithme ne diffère pas de celui qui a été présenté précédemment. Néanmoins, les recommandations insistent sur le fait qu’un cathétérisme cardiaque droit est recommandé uniquement s’il aide à la prise en charge des patients (classe I, C) ou en cas d’insuffisance tricuspide sévère avant une prise en charge chirurgicale ou percutanée (classe I,C).
Le Tableau 4 résume les éléments orientant vers une HTP post-capillaire, à utiliser notamment chez un patient âgé, aux multiples facteurs de risque (FDR) cardiovasculaires et une FEVG préservée.

Concernant la stratégie thérapeutique :

  • En cas de cardiopathie gauche mais de caractéristiques évocatrices d’HTP pré-capillaire et/ou de dysfonction ventriculaire droite, l’adressage à un centre de référence d’HTP pour bilan complémentaire est recommandé (class I,C).
  • En cas de cardiopathie gauche avec une HTP postcapillaire combinée sévère (RVP > 5 UW), un traitement au cas par cas de la maladie vasculaire pulmonaire est recommandé (class I,C)
  • Chez un patient avec de multiples FDR pour une cardiopathie gauche, sous traitement spécifique de l’HTAP, avec une PAPO normale au repos, il est recommandé d’effectuer un test de remplissage (class I,C).
  • En cas de PAPO borderline à 13-15 mmHg et des caractéristiques d’IC à FEVG préservée, un test de remplissage est nécessaire afin de démasquer une HTP post-capillaire (class IIb,C).
  • Les traitements de l’HTAP ne sont pas recommandés en cas d’HTP du groupe 2 (Class III, A).

Hypertension artérielle pulmonaire (groupe 1)

Après avoir fait le diagnostic d’HTAP en centre de référence, la prise en charge est basée sur la stratification du risque (classe I,B), c’est-à-dire le risque de mortalité dans l’année.
C’est un point fondamental puisqu’elle renseigne sur :

  • Le pronostic à court terme
  • La stratégie thérapeutique à adopter
  • Le suivi à organiser

Sur la décennie qui vient de s’écouler, plusieurs outils ont été développés comme la méthode française, les REVEAL score 1 et 2.0, REVEAL Lite, COMPERA.(6–9) Les guidelines retiennent une stratification en 3 strates, basée sur une évaluation multiparamétrique (tableau 5) :

  • Risque faible (< 5%)
  • Risque intermédiaire (5 à 20%, contre 10% en 2015)
  • Risque élevé (> 20%)

Il est important d’insister sur le fait qu’atteindre ou maintenir un profil « risque faible » est un objectif thérapeutique à atteindre et que tout doit être mis en œuvre pour y arriver.
La stratification du risque doit être faite avant introduction des traitements, puis lors de chaque visite. Pour les visites de suivi, une version simplifiée de la stratification du risque, non invasive, peut être utilisée (Tableau 6).

Cette étape est fondamentale puisqu’en découle la stratégie thérapeutique à adopter (Figure 3).

Il est aussi recommandé (classe I,C) d’apporter un support psychologique chez ces patients, ainsi qu’une vaccination contre le SARS-CoV-2, la grippe et le pneumocoque (classe I,C), l’utilisation de diurétiques en cas de signes d’IC droite (classe I,C), d’oxygénothérapie au long cours si la PaO2 < 8 kPa (classe I,C) et de combler une éventuelle carence martiale (classe IIb, C). Enfin, l’anticoagulation au long cours n’est généralement pas recommandée mais peut être considérée au cas par cas (classe IIb, C).

A noter qu’en cas de positivité au test de vasoréactivité (baisse de la PAPm ≥ 10 mmHg afin d’atteindre une PAPm ≤ 40 mmHg sans diminution du débit cardiaque), un traitement par forte dose d’inhibiteurs calciques est recommandé (classe I,C), accompagné d’un suivi rapproché tous les 3-4 mois (classe I,C). Cela concerne environ 10% des patients HTAP d’origine idiopathique, familiale ou associée à la prise de drogues ou toxiques.

Hypertension pulmonaire post-embolique chronique (groupe 4)

La Figure 4 résume la prise en charge diagnostique et thérapeutique recommandée dans ce cas. En plus, on peut noter que la recherche d’un syndrome des antiphospholipides est recommandée chez les patients avec une HTP post-embolique chronique (classe I,C) et que le traitement médical à adopter est le Riociguat, un stimulateur de la guanylate cyclase.

Hypertension pulmonaire liée au maladies pulmonaires (groupe 3)

Cette forme d’HTP est fréquemment rencontrée chez les patients BPCO avec ou sans emphysème, en cas de pneumopathie interstitielle et de syndrome d’hypoventilation. Les patients sont classés en HTP non sévère ou sévère si les RVP sont inférieures ou supérieures à 5 UW. En ce qui concerne la stratégie diagnostique, elle n’est pas différente de celle évoquée précédemment.

Concernant la prise en charge, il faudra dans un premier temps optimiser le traitement de la cause à l’origine de l’HTP (classe I,C) puis référer les patients en centre de référence/compétences. Pour la première fois, les recommandations indiquent qu’il est possible d’utiliser le treprostinil inhalé (analogue des prostacyclines) chez ces patients (classe IIb, B).

L’utilisation d’autres thérapeutiques spécifiques de la maladie vasculaire pulmonaire n’est pas recommandée.

Charles Fauvel
Columbus, Ohio / Rouen, France.

 

 

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