Syndrome coronarien aigu et consommation de cannabis. Etude monocentrique rétrospective au Centre Hospitalier de Troyes

THÈSE SOUTENUE POUR L’OBTENTION DU GRADE DE DOCTEUR EN MÉDECINE, LE 8 JUIN 2022, À LA FACULTÉ DE MÉDECINE DE CAEN.

Contexte

Le syndrome coronarien aigu (SCA) survient classiquement entre 60 et 70 ans. La limite d’âge supérieure du SCA du sujet jeune est fixée à 40, 45 ou 50 ans, soit respectivement 2,6 %, 6,5 % et 23,9 % des patients admis en Unité de Soins Intensifs de Cardiologie (USIC)¹ .

Son incidence est en augmentation sous l’influence des facteurs de risque modifiables, dont la prise de drogues, désormais à prendre en compte², notamment en France, dont la prévalence de la consommation de cannabis est la plus élevée en Europe³. D’autre part, la dépression constitue un facteur de risque indépendant d’évènement cardiovasculaire et il existerait une relation bidirectionnelle entre usage du cannabis et dépression (4), lesquels favoriseraient le risque de précarité (5). Une nouvelle forme clinique de SCA semble émerger en lien avec la consommation de cannabis, la fragilité du terrainet le syndrome dépressif.

L’objectif principal de cette étude est de comparer le profil clinique et cardiologique des patients présentant un SCA selon l’exposition à une consommation de cannabis.

Population et méthode

Nous avons réalisé une étude de cohorte rétrospective, monocentrique, de type exposé/non exposé chez tous les patients adultes (> 18 ans) admis pour un SCA en USIC entre le 1er janvier 2012 et le 31 décembre 2021 au Centre Hospitalier de Troyes, avec menti on d’une consommation de cannabis dans le dossier médical. Tous les patients coronarographiés avec pour indication SCA ST+, ST-, troubles du rythme ventriculaire et arrêt cardiorespiratoire ont été répertoriés.

Un appariement a été réalisé, pour que chaque patient identifié dans le groupe exposé soit associé à un patient non exposé comparable pour l’âge, le sexe, la période d’hospitalisation et la typologie d’évènement cardiovasculaire (type de SCA et topographie pour les ST+).

Critères de jugement et variables étudiées

Le critère d’exposition est la consommation déclarée de cannabis par le patient.

Le critère de jugement principal est la sévérité de la coronaropathie au stade aigu, définie par une fraction d’éjection du ventricule gauche (FEVG) < 45%, l’étendue de la maladie coronarienne, et la survenue de complications intra-hospitalières. Les critères de jugement secondaires au stade aigu sont le profil clinique, le mécanisme de l’infarctus, les modalités et le délai de prise en charge.

Ont été prises en compte les données suivantes : les antécédents cardiovasculaires et les facteurs de risque classiques, deux facteurs de risque psycho-sociaux (stress et syndrome dépressif), l’existence d’une précarité et d’une consommation d’alcool. Les paramètres suivants ont été recueillis : symptomatologie initiale, complications, délai de prise en charge, données ECG (topographie en cas de SCA ST+), échographiques (FEVG) et biologiques.

Les caractéristiques coronarographiques et les modalités de revascularisation ont été évaluées.

L’artère en cause est identifiée en cas d’atteinte athéromateuse significative, l’étendue de la maladie est classée en mono, bi, ou tritronculaire. Les mécanismes retenus peuvent être un thrombus, une dissection, un spasme, et en l’absence de lésion significative et de thrombus, on retient le diagnostic de MINOCA. Les angioplasties sont colligées.

Résultats

Nous avons identifié 2 745 patients admis en USIC pour un SCA ST+ ou ST- du 01/01/2012 au 31/12/2021 au Centre Hospitalier de Troyes. Pour 31 d’entre eux, soit 1,1 % de cette population, nous avons relevé une consommation de cannabis. Les caractéristiques épidémiologiques et cliniques initiales de cette population sont présentées dans le tableau 1.

L’âge moyen est de 42 ± 8,7 ans (âges extrêmes : 15 à 59 ans), 28 patients sont de sexe masculin soit 90,3%, seul un patient n’est pas fumeur, 12 (38,7%) ont une intoxication éthylo-tabagique, 9 (29%) sont en situation de précarité.

Une différence significative est retrouvée pour la précarité (p = 0,002) et la consommation d’alcool (p = 0,008), l’IMC est significativement inférieure chez les consommateurs de cannabis. Les paramètres initiaux et les modalités de prise en charge sont rapportés dans le tableau 2.

Il n’y a pas de différence statistique avec le groupe cannabis négatif concernant les variables caractérisant la présentation initiale et les modalités de prise en charge.
18 patients (58%) présentent un SCA ST+, 13 (42%) un SCA ST-. Les caractéristiques coronarographiques sont rapportées dans le tableau 3.

Il n’y a pas de différence significative concernant la sévérité de l’atteinte coronaire entre le groupe cannabis positif et le groupe cannabis négatif.

Un MINOCA, identifié chez 5 patients du groupe cannabis positif, explique la moindre fréquence des revascularisations que dans le groupe cannabis négatif, qui n’en comporte aucun. Le profil des consommateurs est imprécis, mais 17 (56,7%) consomment quotidiennement du cannabis, 12 (38,7%) sont en situation de poly-consommation avec le triptyque cannabis / tabac / alcool.

Discussion

Dans cette étude la prévalence, à peine supérieure à 1%, est apparemment anecdotique, mais si l’on se réfère aux SCA ST+ de moins de 50 ans, près de 8% sont des consommateurs avoués de cannabis, soit un résultat concordant avec le chiffre de 10% rapporté par plusieurs publications américaines (2, 6, 7). Il est probable que ce chiffre traduise une sous-évaluation du fait d’une réticence des patients pour signaler et des soignants pour questionner.
La moyenne d’âge est < 45 ans, 90% sont des hommes, soit une population beaucoup plus jeune et plus majoritairement masculine que celle du registre FASTMI (8), et tous sauf un sont des fumeurs. 3 facteurs émergent au plan statistique dans le groupe cannabis positif : l’IMC, la consommation régulière d’alcool et la précarité, soit des résultats concordants avec ceux de la littérature (9,10,5).

Il n’est pas observé de différence concernant la sévérité de la coronaropathie au stade aigu : le caractère superposable des FEVG des 2 populations est un argument en faveur d’une prise en charge initiale similaire. La présence plus élevée de MINOCA dans le groupe cannabis positif peut s’expliquer par les mécanismes physiopathologiques proposés de l’association cannabis / SCA, tel que le spasme coronaire, l’ischémie fonctionnelle due à l’augmentation du taux de carboxyhémoglobine ou de l’activité sympathique (11, 12).

Limite de notre étude

Notre travail présente des limites inhérentes à la conception d’une étude monocentrique et rétrospective, on ne peut donc garantir l’exhaustivité du recueil. En outre, le dépistage de la consommation de cannabis repose uniquement sur l’interrogatoire des patients.

Conclusion

Cette étude confirme le pourcentage élevé de consommateurs de cannabis parmi les infarctus du sujet jeune, notamment les SCA ST+, et semble ainsi conforter l’hypothèse d’une forme clinique émergente. On peut esquisser le profil suivant : sexe masculin, âge < 45 ans, tabagisme quasi-constant, consommation d‘alcool et précarité fréquente, atteinte monotronculaire ou MINOCA.
L’association cannabis / SCA mériterait la réalisation d’études prospectives multi centriques, et d’être incluse dans des registres type FAST MI.
En terme de santé publique, nous pensons qu’un dépistage systématique, au moins par l’interrogatoire, est souhaitable pour tous les SCA de moins de 50 ans hospitalisés en USIC.

Loïc Durandel, Caen

Référence

1. Tea V, Danchin N, Puymirat E. Infarctus du myocarde du sujet jeune : spécificités épidémiologiques et facteurs de risque. La Presse Médicale. 1 déc 2019;48(12):1383-6.
2. Yandrapalli S, Nabors C, Goyal A, Aronow WS, Frishman WH. Modifiable Risk Factors in Young Adults With First Myocardial Infarcti on. Journal of the American College of Cardiology. 12 févr 2019;73(5):573-84.
3. Janssen É, Spilka S, Marti nez M, Gandilhon M, Brisacier AC, Palle C, et al. Cannabis et cannabinoïdes de synthèse [Internet]. 2019 [cité 20 mars 2022]. Disponible sur: https://www.ofdt.fr/BDD/publicati ons/docs/DADE2019parti e3b.pdf
4. Langlois C, Potvin S, Khullar A, Tourjman SV. Down and High: Refl ecti ons Regarding Depression and Cannabis. Fronti ers in Psychiatry. 2021;12:681.
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6. Desai R, Patel U, Sharma S, Amin P, Bhuva R, Patel MS, et al. Recreational Marijuana Use and Acute Myocardial Infarction: Insights from Nationwide Inpatient Sample in the United States. Cureus. 9(11):e1816.
7. DeFilippis EM, Singh A, Divakaran S, Gupta A, Collins BL, Biery D, et al. Cocaine and Marijuana Use Among Young Adults With Myocardial Infarction. Journal of the American College of Cardiology. 5 juin 2018;71(22):2540-51.
8. Belle L, Cayla G, Cotti n Y, Coste P, Khalife K, Labèque JN, et al. French Registry on Acute ST-elevati on and non-ST-elevati on Myocardial Infarction 2015 (FAST-MI 2015). Design and baseline data. Arch Cardiovasc Dis. juill 2017;110(6-7):366-78.
9. Ravi D, Ghasemiesfe M, Korenstein D, Cascino T, Keyhani S. Associations Between Marijuana Use and Cardiovascular Risk Factors and Outcomes. Ann Intern Med. 6 févr 2018;168(3):187-94.
10. Rodondi N, Pletcher MJ, Liu K, Hulley SB, Sidney S. Marijuana Use, Diet, Body Mass Index, and Cardiovascular Risk Factors (from the CARDIA Study). The American Journal of Cardiology. 15 août 2006;98(4):478-84.
11. Goyal H, Awad HH, Ghali JK. Role of cannabis in cardiovascular disorders. J Thorac Dis. juill 2017;9(7):2079-92.
12. Chett y K, Lavoie A, Deghani P. A Literature Review of Cannabis and Myocardial Infarction –What Clinicians May Not Be Aware Of. CJC Open. 3 sept 2020;3(1):12-21.

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