La saga des recos

Les recommandations sur le mode de vie restent difficiles à mettre en application ! Il n’est pas de grand congrès de notre discipline sans son lot de nouvelles recommandations. Le congrès de l’ESC de 2023 n’échappe pas à la règle. Certes, mettre à jour les recommandations en fonction des nouvelles avancées de la recherche est utile, mais cela n’empêche pas de voir les limites des textes qui nous sont si régulièrement proposés. Deux exemples, qui illustrent, chacun à leur manière, les travers possibles de ces fameuses « guidelines ». Le texte sur la prévention des maladies cardio-vasculaires chez les patients diabétiques montre que les experts peuvent être tout à la fois hardis et prudents. Hardis, car il est maintenant proposé de mettre en première ligne les inhibiteurs de sGLT2 (les gliflozines) et les agonistes de GLP1 chez les patients ayant une maladie cardio-vasculaire connue, une atteinte des organes cibles ou un risque cardio-vasculaire estimé élevé (au moyen d’un nouveau score de risque, spécifique au diabète). Hardis, car la metformine est maintenant relayée en deuxième position chez ces patients, ce qui aurait été considéré comme hérétique jusqu’à récemment. Mais aussi étrangement prudents : au lieu d’écrire explicitement qu’il est recommandé de prescrire simultanément les deux classes médicamenteuses, les auteurs écrivent pour chacune d’elles de les prescrire « indépendamment des autres traitements hypoglycémiants » (independent of concomitant glucose lowering medications).

Comme si les experts n’avaient pas tout à fait osé aller jusqu’au bout de leur raisonnement. Prudence également, quand ces mêmes experts passent habilement sous silence le traitement initial qui devrait être proposé aux patients diabétiques qui ne rentrent pas encore dans les catégories sus-citées. Brefs, les recommandations sont hardies… mais pas trop quand même ! Les recommandations sur l’endocardite infectieuse illustrent une autre difficulté : celle de s’affranchir des effets de mode. Pendant longtemps, la règle était d’effectuer une antibioprophylaxie avant tout geste à risque (notamment dentaire) chez tous les patients ayant une anomalie valvulaire. Une telle attitude, dictée par quelques expériences cliniques dramatiques d’endocardites survenues après des soins dentaires sans antibiotiques, ne reposait pourtant sur aucune base scientifique solide et risquait d’aboutir à une dissémination des résistances microbiennes dans la population. L’attention portée à ce dernier point, dans un contexte de sensibilisation générale aux problèmes d’écologie, a amené les recommandations de 2015 à abandonner la préconisation de l’antibioprophylaxie systématique « pour tous », pour simplement suggérer de l’envisager (grade IIa), et cela uniquement chez les sujets les plus à risque (prothèses valvulaires, antécédents d’endocardite, cardiopathies congénitales cyanogènes). Les recommandations de 2023 font machine arrière : si l’antibioprophylaxie reste réservée aux cardiopathies les plus à risque, elle retrouve, dans cette population, un niveau de recommandation de grade I. On retourne ainsi presqu’ exactement aux recommandations de 2004, 19 ans auparavant, en y ajoutant simplement la population des pati ents ayant une intervention valvulaire percutanée, population évidemment pratiquement inconnue à l’époque ! Cela n’est pas sans rappeler lesinjonctions que nous avons connues sur la manière de coucher les nouveau-nés : tantôt sur le ventre, sur le côté droit, ou sur le côté gauche ou maintenant sur le dos…Rappelons-le : les recommandations sont écrites pas des groupes d’humains, par essence faillibles, et, comme toute création humaine, elles doivent donc être prises avec un minimum de recul. Mais que l’on ne me fasse pas dire ce que je ne veux pas dire : pour imparfaites qu’elles soient, les recommandations gardent, pour le cas général, une utilité peu contestable.

Nicolas Danchin

 

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