NOAH-AFNET 6
Les anticoagulants sont efficaces dans la prévention du risque embolique, principalement de la survenue d’un accident vasculaire cérébral (AVC), chez les patients atteints de fibrillation atriale (FA). Ces anticoagulants sont indiqués chez les patients présentant de la FA selon leur risque embolique estimé par le score CHA2DS2 VASC1,2. Les épisodes d’arythmies atriales rapides (AHRE) sont des arythmies atriales brèves et rares, semblables à de la FA, détectée par un moniteur implantable (pacemaker, défibrillateur ou holter implantable/Reveal©)2. Les AHRE sont observés chez 10 à 30% des patients porteurs de dispositifs implantables3.Bien que les AHRE soient associés à un risque accru d’AVC, ce risque est inférieur à celui des patients souffrant de FA « soutenue ». Les recommandations de l’ESC 2020 proposent une stratégie
basée sur une évaluation individuelle du risque embolique chez les patients présentant des AHRE sans FA documentée par un ECG.
→ Pour tenter de mieux déterminer la stratégie à appliquer dans ce cas, l’essai NOAH-AFNET 6 a cherché à évaluer l’efficacité et l’innocuité de l’anticoagulation orale chez les patients souffrant d’AHRE, sans FA documentée par un ECG.
Design
L’essai NOAH-AFNET 6 est un essai randomisé, en double aveugle comparant l’anticoagulant curatif par Edoxaban à un placebo (randomisation en 1/1 dans chaque bras)5 :
– Chez des patients ≥65 ans ayant au moins un facteur de risque d’AVC supplémentaire (insuffisance cardiaque, hypertension, diabète, AVC antérieur ou accident ischémique transitoire, maladie vasculaire, ou âge ≥ 75 ans).
– Présentant des épisodes d’AHRE de plus de 6minutes (à une fréquence > 170bpm) détectés par un dispositif
implantable, après vérification par un groupe d’experts.
L’anticoagulation consistait en l’administration d’edoxaban à la dose approuvée pour la prévention des AVC dans la fibrillation auriculaire (60mg une fois par jour, réduite à 30mg une fois par jour selon les critères de réduction de la dose approuvés pour la prévention des AVC dans la fibrillation auriculaire). L’absence d’anticoagulation consistait en un placebo ne contenant aucun composé actif ou de l’aspirine 100mg une fois par jour chez les patients ayant une indication pour un traitement antiplaquettaire.
Cette population de patients ne faisait donc pas partie de l’AMM officielle de l’Edoxaban.
Le critère de jugement principal était le composite d’AVC, embolie systémique ou décès cardiovasculaire. Le critère de sécurité était le composite de saignement majeur et mortalité toute cause. Le nombre de sujets nécessaires pour détecter une réduction du risque d’AVC de 32% dans le groupe anticoagulants était de 3400 patients, réduit à 2538 patients en intention de traiter (incluant tous les patients ayant reçu au moins une dose du traitement de leur bras). Tous les patients ont été suivis jusqu’à l’interruption de l’étude (31/12/2022).
Résultats
Grâce à la participation de 206 centres répartis sur 18 pays européens, 1 266 patients ont été inclus dans le bras placebo et 1 270 dans le bras anticoagulation, sans différence entre les deux bras. A noter qu’environ 10% des patients de chaque bras ont retiré leur consentement au cours de l’étude. Les patients présentaient de nombreux facteurs de risque d’AVC : l’âge moyen était de 78ans, 37% étaient des femmes et le score CHA2DS2-VASc médian était de 4,5 points. La durée médiane des épisodes
d’AHRE était de 2,8 heures, sans limite supérieure, et 97% avec une fréquence >200bpm, dans 80% des cas via un stimulateur cardiaque.
Chez 18% des patients, une FA « soutenue » a été diagnostiquée sur l’ECG (8,7%/an).
L’essai a été stoppé prématurément en raison de signaux de sécurité et une tendance à la futilité pour l’efficacité après le recrutement de tous les patients prévus. Le critère de jugement principal est survenu chez 83 patients du groupe anticoagulation (3,2%/an) et chez 101 patients du groupe placebo (4,0%/an), soit un hazard ratio (HR) de 0,81 (intervalle de confiance à 95% [IC] 0,6-1,1] ; p=0,15). Le taux d’AVC était faible dans les deux groupes (placebo 1,1%/an, avec anticoagulation 0,9%/an).
Le composite de saignement majeur et décès toutes causes (critère de sécurité) est survenu chez 149 patients du groupe avec anticoagulation (5,9%/an) et 114 patients du groupe placebo (4,5%/an), soit un HR de 1,3 (IC à 95% 1,0-1,7 ; p=0,03), principalement en lien avec une augmentation des saignements majeurs (HR 2,10 ; 95% CI 1,30-3,38 ; p=0,002).
Perspectives
L’essai NOAH AFNET 6 a été stoppé en raison du surrisque hémorragique dans le groupe anticoagulation et de sa futilité à tenter de prouver un bénéfice sur la réduction du risque ischémique. En effet, le taux d’AVC annuel retrouvé dans l’étude est très faible, rendant la puissance de l’étude réduite et le bénéfice attendu de l’anticoagulation dérisoire.
De plus, seulement un anticoagulant oral direct a été évalué (Edoxaban), qui n’est pas disponible en France. Les prochaines recommandations ESC 2024 sur la fibrillation atriale prendront probablement en compte cette étude. À ce jour, les recommandations ESC 2020 sur la FA préconisent, chez ces patients avec AHRE/FA infraclinique détectée par dispositif implantable (IB) :
– D’évaluer le risque embolique par le score CHA2DS2 VASC.
– De poursuivre le suivi rapproché du patient pour détecter une progression vers une FA symptomatique ou une charge en FA ≥ 24 heures avant d’initier une anticoagulation curative.2
Points clés
– NOAH AFNET 6 a testé l’efficacité du traitement anticoagulant chez les patients porteur d’un dispositif implantable avec diagnostic d’une arythmie atriale rapide ≥ 6 minutes sans FA « soutenue ».
– Chez ces patients, l’anticoagulation orale augmente le risque de saignement sans réduire le risque embolique.
– Ce risque embolique est d’ailleurs faible : taux d’AVC annuel estimé à 1%, même avec un facteur de risque embolique.
– Avant d’initier une anticoagulation orale pour une arythmie atriale, il convient d’exiger un diagnostic de FA sur l’ECG.
Références
1. Erwin JP, Iung B. Current recommendations for anticoagulant therapy in patients with valvular heart disease and atrial fibrillation: the ACC/AHA and ESC/EACTS Guidelines in Harmony…but not Lockstep! Heart. juin 2018;104(12):968-70.
2. Hindricks G, Potpara T, Dagres N, Arbelo E, Bax JJ, Blomström-Lundqvist C, et al. 2020 ESC Guidelines for the diagnosis and management of atrial fibrillation developed in collaboration with the European Association for Cardio-Thoracic Surgery (EACTS). Eur Heart J. 1 févr 2021;42(5):373-498.
3. Toennis T, Bertaglia E, Brandes A, Dichtl W, Fluschnik N, De Groot JR, et al. The influence of atrial high-rate episodes on stroke and cardiovascular death: an update. Europace. 4 juill 2023;25(7):euad166.
4. Kirchhof P, Toennis T, Goette A, Camm AJ, Diener HC, Becher N, et al. Anticoagulation with Edoxaban in Patients with Atrial High-Rate Episodes. N Engl J Med. 25 août 2023;NEJMoa2303062.
5. Kirchhof P, Blank BF, Calvert M, Camm AJ, Chlouverakis G, Diener HC, et al. Probing oral anticoagulation in patients with atrial high rate episodes: Rationale and design of the Non-vitamin K antagonist Oral anticoagulants in patients with Atrial High rate episodes (NOAH-AFNET 6) trial. Am Heart J. août 2017;190:12-8