L’origine du mot fromage Le mot « fromage » provient par métathèse du mot « formage » qui subsiste encore en italien dans le mot « formaggio » comme dans des régions françaises sous le nom de fourme. C’est l’évolution naturelle d’un mot qui se transforme au point que l’erreur de prononciation populaire devient la règle : ainsi formage est devenu fromage (métathèse de « r ») comme plus communément aéroport se transforme en aréoport. Le mot fromage dérive ainsi du nom du moule qui servait à le fabriquer. À l’origine, on faisait cailler le lait dans des formes percées de trous pour qu’il s’y égoutte. Ces faisselles se nommaient « forma ». Le mot originel latin formaticus était accolé à celui de caseus désignant « ce qui a fermenté, ce qui est devenu acide ». Ainsi fromage est dérivé par ellipse de caseus formaticus en français alors que l’allemand comme l’anglais ont conservé le premier terme de l’ellipse devenu Käse en allemand ou cheese en anglais. De cette étymologie reposant sur la forme du moule persiste encore aujourd’hui la désignation d’un certain nombre de fromages : la Bûchette de Saint-Loup, la Boulette d’Avesnes, le Carré de Liège, la Fourme d’Ambert déjà évoquée, la Pyramide de Valençay, le Crottin de Chavignol, le Pavé de Corrèze… et bien sûr les célèbres meules du comté. Le fromage est un aliment obtenu à partir de produits laitiers fermentés ou non. Pour mieux cerner l’élaboration du fromage, il faut commencer par identifier l’animal qui fournit le lait : la vache le plus communément mais aussi la brebis vraisemblablement la plus ancienne, la chèvre, la bufflonne (source essentielle de lait au Pakistan, au Népal et en Égypte) et plus anecdotiquement la jument, la chamelle… et parfois même des mélanges à partir de la production d’animaux différents. Après le recueil du constituant principal, vient la fabrication qui consiste à en séparer et rassembler la caséine et éventuellement les matières grasses pour en faire un aliment de conservation. Elle comporte quatre étapes indispensables, la caséification ( processus de coagulation du lait via la fermentation par la mise en œuvre des bactéries ou des levures aboutissant à la production de caséine), l’égouttage, le pressage et le salage pour sa conservation.
Plusieurs facteurs influencent le goût et la saveur du fromage : la saison, le climat, les micro-organismes, la qualité des sols et des pâturages, l’espèce et la race des animaux laitiers, les techniques de fabrication, le savoir-faire d’affinage, autant d’éléments qui expliquent la richesse et la diversité des spécialités régionales. L’histoire du fromage Un des plus anciens aliments manufacturés, le fromage remonte à la période du néolithique. Les premiers hominidés ne pouvaient pas méconnaître les qualités nutritives du lait à travers la nécessité de l’allaitement. La volonté de conservation et de transport du lait apparaît comme une démarche de progrès. Exposé à l’air libre, le lait fermente et coagule très vite ébauchant la fabrication de fromage. Il s’acidifie ou surit selon les micro-organismes présents et caille au bout de quelques heures. Cette fermentation permet de conserver le caillé quelques jours, le salage en allongeant la durée. La sérendipité a contribué à son invention par le transport du lait dans l’estomac de veau contenant naturellement de la présure, facteur de caséification. Les premières traces de fabrication du fromage, relevées par les archéologues, remontent à – 7000 en Turquie, en Mongolie, en Pologne avec la découverte de faisselle pour l’égouttage mais il préexistait très vraisemblablement. Seul moyen de conservation et de transport du lait, il devient vite un élément important de l’alimentation avec la sédentarisation et l’apparition de l’élevage. Les preuves ne manquent pas pour attester de la production du fromage sur les tablettes cunéiformes retrouvées à Uruk
et Sumer sous le règne du roi Shoulgi (environ 3 100ans avant notre ère) puis la contribution des peintures, des gravures et des écritures hiéroglyphiques des mastabas et tombes égyptiennes. Le fromage faisait partie des offrandes aux divinités. C’est dans les fouilles archéologiques à Memphis que fut découvert le plus vieux fromage (3 200 av JC). Se référant abondamment à la civilisation pastorale, la Bible ne mentionne que peu le fromage sinon dans le livre d’Abraham puis à propos des restrictions alimentaires de Moïse. Le fromage peut être porteur d’interdits religieux, la présure étant considérée comme un abat. La mythologie grecque attribue la découverte du fromage à Aristée, Dieu mineur, fils d’Apollon. Dans l’odyssée, Ulysse débarqua sur l’île du Cyclope Polyphème, inventeur de la feta, et s’en échappera caché sous le ventre des brebis « Il (Polyphème) fit cailler la moitié du lait des brebis puis plaça le caillé dans des faisselles en osier. » Les Grecs avaient coutume de sécher et conserver le fromage dans la saumure. Sous l’empire romain, la fabrication du fromage évolue avec l’invention du pressoir à vis ; les voies terrestres et maritimes permettent sa diffusion. Dans son Traité d’Agronomie, « Libri de re rustica » ( 65 après J.-C.), le romain Columelle détaille les étapes de la fabrication ; Pline l’Ancien dans son Histoire naturelle (77 après J.-C.) rapporte la diversité des types de fromages appréciés par les élites romaines. Après la chute de l’Empire romain, les monastères prennent le relais. Le fromage devient un aliment de base, dès le VIe siècle, en raison de son coût de production faible dans un monde essentiellement voué à l’agriculture. Éléments nutritifs importants des populations les plus pauvres par sa richesse en protéines, ils sont produits localement et concourent à nourrir les populations rurales. Les moines mettent au point les techniques d’affinage et seraient à l’origine d’un grand nombre des spécialités fromagères actuelles, notamment le Munster dès 855 dans un monastère alsacien et le Maroilles, vers 960, par les moines de Thiérache. Sortie des monastères, la production relève essentiellement d’une activité féminine ; la première coopérative fromagère est créée par des fermières en 1267 à Déservillers (Doubs). Dans le Jura et les Alpes, certaines communautés de paysans montagnards s’affranchissent et se regroupent en « fruitières », pour confectionner des grosses meules de fromage. La région de l’abbaye de Conques bénéficie en 1457 par Charles VI d’un monopole de fabrication pour le Roquefort qui sera en 1666 le premier fromage à être porté dans un texte juridique. La découverte de la pasteurisation a initié l’ère industrielle à laquelle se sont attachés les noms de Charles Gervais (les petits suisses – 1852) et de Léon Bel (la vache qui rit -1921, déformation du mot « walkyrie » en wachkyrie imaginée dans les tranchées en dérision des canons allemands) avant la prise en compte par les grands groupes industriels : Lactalis, Danone…
Économie et fromages
Pour exprimer la diversité des fromages nationaux, laissons-nous guider par le choix des consommateurs français. Ce serait en Normandie, à Vimoutiers, que Marie Harel aurait créé le Camembert qui conserve de justesse la première place en dépit d’une chute de 25% de sa production ces dernières années, illustrant les réticences des nutritionnistes quant à sa forte charge lipidique (les vaches normandes donnent un lait riche en matière grasse) et des hygiénistes en raison du grand nombre de productions artisanales au lait cru susceptibles de déterminer des infections. En 2ème place l’Emmental (assimilé au Gruyère) tire son succès de son entrée en cuisine dans les gratins, soufflés et autres spécialités. Le comté prend la 3ème place à la faveur d’une commercialisation dynamique, de la qualité du goût et de son âge décliné sur plusieurs saisons de conservation. Ensuite se retrouvent le Saint-Nectaire, le Crottin de Chavignol (premier chèvre classé), le Roquefort (premier fromage à croûte persillée), le Brie de Meaux puis le Reblochon (qui tire son nom d’une seconde traite après le départ des contrôleurs des impôts), le Pont-L’Evêque et la surprenante Mimolette. Mentionnons, sur le plan anecdotique, le destin du Mamirolle, fromage préféré du leader Nord-Coréen Kim Jong-un qui bénéficiera d’une unité de production à Pyongyang.
La fabrication simple et peu coûteuse explique le succès des fromages fermiers, produits d’une seule exploitation, dont on connaît la race des bêtes, les prairies où elles paissent, l’air qu’elles respirent et tout l’écosystème local. À un niveau géographique à peine plus étendu, les fromages artisanaux regroupent plusieurs exploitations parfois, assimilées aux fruitières et aux coopératives. Ces artisans producteurs développent un savoir-faire plus élaboré, s’appuyant sur une technicité supérieure et flattant le goût par l’ajout de produits locaux, tels que des condiments, de l’ail, des olives, du piment… ou d’autres composants alimentaires : raisin, noix… voire des alcools. L’originalité peut également se trouver dans les couleurs, par l’ajout de carotène, de roucou ou de moisissures, le maintien dans la faisselle d’origine (Jonchée de Niort) ou un habillage régional (feuilles de châtaigniers, fougères…). Parallèlement, ils développent des étapes supplémentaires, telles que l’emprésurage ou un affinage plus spécifique, du persillage ou l’introduction de levures… La production mondiale atteint 24 millions de tonnes et les États-Unis (État du Wisconsin pour la majeure partie) sont de loin en tête pour une consommation essentiellement intérieure sous forme de cheddar présent dans l’incontournable McDonald’s. En Europe, l’Allemagne en est le plus gros producteur et premier exportateur devant les Pays-Bas. Pour préserver notre fierté nationale, la France, bien qu’elle ne se classe que quatrième, est cependant le premier consommateur et le pays qui offre la plus grande diversité. La France, qui exporte seulement 30% de sa production, est cependant le premier exportateur mondial de fromage en valeur, tandis que l’Allemagne est le premier exportateur en quantité. L’Italie tire son succès de la fabrication de la mozzarella, le fromage le plus vendu au monde en raison de sa déclinaison dans la pizza dont Américains et Français sont les plus gros mangeurs. Autre désignation flatteuse pour l’Italie : elle affiche le plus grand nombre d’appellations contrôlées dont le parmesan reconnu comme roi des fromages. À noter que les Grecs grâce à la Feta, qui accompagne les salades, rivalisent avec les Français pour la consommation individuelle évaluée à 25 kg par an par habitant ! Les pays nordiques européens (Danemark, Islande, Finlande) sont aussi de gros consommateurs de fromages (28 kg par habitant) mais essentiellement sous forme de yaourt qui ne répondent pas toujours à la définition… La majeure partie de la population mondiale est intolérante au lactose : alors que 95% des Caucasiens digèrent correctement les produits laitiers, ce chiffre tombe à 50% pour les personnes d’ascendance africaine et seulement environ 5% pour les Asiatiques de l’Est expliquant la faible production de produits laitiers sur ces continents.
Aspects nutritionnels et santé La caséologie est la science consacrée à la connaissance du fromage. Le lait est une émulsion stable physiquement à pH 6,5, mais périssable biologiquement, composé de caséines, d’albumines, de matières grasses et d’eau. La fabrication du fromage consiste à en séparer et rassembler la caséine, et éventuellement les matières grasses pour en faire un aliment de conservation. Les caséines sont d’abord dégradées par l’effet de l’acidité ou de la présure. Selon la chercheuse de l’INRA Marie-Christine Montel, « Le fromage est un écosystème peuplé de bactéries, de levures et de champignons qui vivent là comme en société, chacun faisant un travail spécifique, l’ensemble vivant dans un équilibre fragile entre compétition et coopération. (…) Le fromage est ainsi le fruit de la digestion réalisée par les microbes qui s’invitent à la table du lait ». Les fromages, riches en calcium, phosphore et protéines participent activement au métabolisme phosphocalcique, favorisant la croissance et la calcification des os dans l’enfance et, à un âge avancé, assurant une minéralisation utile contre l’ostéoporose. Ils exercent aussi un rôle bénéfique sur la prévention des caries. Pauvres en vitamine D, ils sont bien pourvus en vitamines A (sous forme de rétinol), B (B2-B9-B12) et en vitamine C. Ils comportent de nombreux oligo-éléments en particulier du zinc, de l’iode, du magnésium et du manganèse contribuant à renforcer les défenses immunitaires. Leur rôle dans la prévention ou paradoxalement le risque accru de certains cancers est débattu. Les diététiciens reprochent aux fromages un apport calorique et une teneur en sel significatifs mais surtout leur contribution à l’augmentation des lipides et des acides gras saturés. La grande diversité des fromages explique la possibilité de mener des régimes adaptés en préférant les fromages frais ou pauvres en matières grasses selon les techniques de fabrication. Les fromages frais (fromages blancs, suisses, demi- sel…) non affinés, sont riches en eau (70% à 82%) ; le minimum de matière sèche, pour les fromages autres que frais, est fixé à 23%. À ce titre la cancoillotte, très prisée en Franche-Comté, la ricotta et les fromages de chèvre frais seraient les plus bénéfiques pour la santé. Attention cependant aux intolérances au lactose et dans la pratique se méfier de la présence de tyramine, perturbateur du sommeil, qui intervient dans le métabolisme de nombreux médicaments antidépresseurs. Les fromages maigres ou allégés doivent contenir moins de 20% de matières grasses et sont fabriqués à partir de lait écrémé. Les principaux dangers microbiologiques sont présents dans les fromages « au lait cru », mention réservée aux fromages fabriqués à partir de laits non ultrafiltrés et chauffés à moins de 40°C afin de privilégier le goût, les arômes et les odeurs. Selon qu’ils ont été bien conservés ou non, et selon la qualité sanitaire du lait utilisé, les fromages peuvent être une source d’infections microbiennes : gastroentérites liées aux salmonelloses ou staphylococcies, insuffisances rénales provoquées aux Escherichia coli et atteintes neurologiques en particulier des méningites léthales causées par les listérioses monocytogènes. Les principales sources de ces dangers sont les fromages à pâtes molle à croûte fleurie (comme le camembert, le brie ou le crottin) et les fromages à pâtes pressée non cuite à affinage court (comme le morbier, le reblochon, le Saint-nectaire). Les contaminants peuvent être d’ordre microbiologique, virus, champignons, bactéries mais aussi des métaux lourds (inhalés ou absorbés par les animaux), des radionucléides (retombées radioactives d’accidents nucléaires), des polluants liposolubles (résidus de pesticides…). Apparu à la fin du 19e siècle, le plateau de fromages se sert à 17-18 °C et doit exprimer la variété de la production, comporter nécessairement un fromage à pâte cuite (type reblochon), un fromage de chèvre (mœlleux ou sec) qui agrémente le plateau par ses déclinaisons cendrées, ses formes plus travaillées (bûchettes, crottins, pyramides…), un fromage à pâte persillée (type Roquefort ou Bleu) et pour terminer la dégustation proposer en dernier un fromage à forte saveur (sinon odeur) : époisses, maroilles, munster… le plateau sera volontiers décoré par des fruits à coque en particulier des noix, du raisin…. Bien entendu, l’amphitryon saura ajouter des fromages locaux à la typicité marquée et surtout sera responsable du mariage vin-fromage en proposant, à côté du traditionnel bourgogne capiteux, d’autres vins tels que des blancs liquoreux et même des Vermouths. En dehors du traditionnel plateau, les fromages frais sont volontiers associés aux salades (feta par exemple…). Ils peuvent constituer l’essentiel d’un repas sous forme de raclette ou de fondue et peuvent s’inviter à chaque service : gratins ou soufflés, accompagnant les crêpes ou bien sous forme de gougères ou encore se mêlant aux sauces des mets principaux. Robert Courtine, critique gastronomique, rend un vibrant hommage à Pierre Androuet, « Monsieur Fromage, son historien et son poète… celui qui a amené le fromage dans notre assiette… en passant par la cuisine » c’est-à-dire celui qui a permis de déplacer le fromage de son statut de fin de repas pour le cuisiner à chaque service.
Conclusion
Considérés par les Français comme une part de leur patrimoine national, les fromages sont produits sur près de 90000 exploitations laitières (avec une moyenne de 40 têtes) gérées par 3000 producteurs. Dans la France, ce pays de cocagne, chaque région a su se mettre en valeur à travers sa production, ses qualités géographiques, ses particularités éco régionales, son terroir ,ses traditions par le travail d’artisans sublimant la typicité et les qualités organoleptiques . Aliment essentiel des sociétés pastorales, le fromage représentait souvent le complément protéique indispensable d’un pain médiocre pour le paysan pauvre. Aujourd’hui, il est devenu une composante gastronomique à part entière qui révèle le travail des artisans, conjugue le talent des cuisiniers et ré hausse la qualité des repas illustrant parfaitement la maxime hédoniste de Brillat-Savarin : « un dessert sans fromage est une belle à qui il manque un œil ». Cette chronique vaut bien un fromage.
BIBLIOGAPHIE Robert Dictionnaire historique de la langue française ; édition. janvier 1994 Robert J. Courtine, Larousse des fromages, Paris, Larousse, 1973 ; réédition 1999 Michèle Barrière, « Le fromage », Historia, novembre 2011 Maguelone Toussaint-Samat ; Histoire naturelle et morale de la nourriture ;in extenso ;éditions Larousse Wikipédia article « fromages » et en particulier chronique rédigée par Catherine Conan Diététicienne Brillat-Savarin : Physiologie du goût ; Champs classiques ;éditions Flammarion