Née dans les années révolutionnaires, comme nous l’avons vu, la gastronomie a connu un essor exceptionnel dû à la conjonction de 3 destins (Brillat Savarin sera traité dans le numéro suivant) aux naissances opposées, aux fortunes diverses, mais qui réussirent à traverser indemnes cette période mouvementée.


 

L’un est cuisinier, Antonin Carême (1783-1833), autodidacte au destin prestigieux, régna dans les offices des têtes couronnées de l’époque ; un tantinet mégalomane mais reconnu, il laissera de nombreux ouvrages de référence. Benjamin d’une famille de treize enfants, Antonin fut abandonné par son père comme beaucoup d’enfants à l’époque sur les chantiers nombreux de la capitale. Le destin voulut qu’il franchisse le seuil d’une gargote plutôt que de s’inscrire parmi les ouvriers des chantiers. Son enthousiasme,son énergie conduisit son premier employeur à le présenter pour des extras chez Bailly, pâtisserie réputée, rue Vivienne, où il se fit remarquer par ses pièces montées en massepain, nougat, sucre et ses pastillages décoratifs inspirés des bâtiments grecs qu’il découvrait sur les ouvrages consultés à la bibliothèque où il s’isolait pendant ses heures de repos pour s’initier à la lecture et l’écriture à travers les dessins des livres d’architecture. Client de la pâtisserie Bailly, Talleyrand remarqua l’originalité et la précocité de son talent et l’invita à rejoindre son équipe en charge deux fois par semaine de confectionner des dîners de 36 couverts à la demande du premier consul puis de l’empereur pour diffuser ses idées politiques. Dès lors son histoire était tracée, et dans les pas de Talleyrand il va parcourir l’Europe pour servir les tables les plus prestigieuses. Antonin Carême, enfant de la révolution né dans la pauvreté, saura tracer son chemin dans les cours de Russie, d’Angleterre et de France et se calquant à l’évolution du monde, il terminera sa carrière aux fourneaux des Rothschild dans une frénésie d’écriture pour laisser un message qui lui vaudra le nom de « Roy des cuisiniers ».

Les pères de la gastronomie


Le second, descendant fortuné de l’ancien régime, Alexandre Balthazar Laurent Grimod de la Reynière (1758-1837) fut le promoteur d’une science originale ; servi par une écriture brillante mettant en place à travers des ouvrages teintés d’humour le cérémonial des repas, inventant les premiers guides gastronomiques et créant les premiers jury-dégustateurs préfigurant les critiques contemporains.

Héritier d’une dynastie de fermiers généraux à la fortune insolente, Alexandre Balthazar Laurent Grimod de la Reynière eut le malheur de naître avec un handicap : les deux mains difformes, la gauche remplacée par une formation cornée « tordue comme la griffe d’un vautour » et la droite « par une pince de crabe charnue entre les deux moitiés de laquelle est tendue une fi ne membrane
qui fait penser à une patte-d’oie ».
Caché, rejeté et à l’occasion éloigné par sa famille mais doté d’une intelligence vive et d’ un esprit rebelle, il compensa par un apprentissage des fonctionnalités de la langue aux destinations diverses et ce rejeton turbulent, contestataire, pamphlétaire mena de brillantes études d’avocat. Mais il se passionna très vite pour les arts de la table, dont il devint un chantre reconnu, se voulant lui-même passeur entre les traditions de l’ancien monde raffiné de la noblesse et l’arrivée d’une nouvelle classe militaire et bourgeoise avide de reconnaissance et de jouissance parvenue trop rapidement à la richesse pour valider l’éducation nécessaire.


Jacques Gauthier
jchm.gauthier@orange.fr

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