Jacques Gauthier,

 

La bière, produit de fabrication élémentaire par la fermentation simple des céréales, fut vite en concurrence dans le monde antique avec le vin en raison de son élaboration plus subtile, de ses qualités de vieillissement et de sa participation à un rôle social et culturel plus affirmé. Le vin, « la partie intellectuelle du repas » (Alexandre Dumas), doté de réelles qualités médicinales, fut prescrit d’abord à bon escient, mais ses vertus euphorisantes élargirent vite les indications au quotidien.

L’histoire du vin peut être tracée à travers ces lieux de fabrication, les pressoirs, les objets de transport et les lieux de stockage et s’initie au Proche Orient avec les premières civilisations sédentarisées et l’invention de l’écriture permet d’en témoigner. Dans la Bible, comme dans le roman de Gilgamesh écrit 2000 ans auparavant, le vin n’est mentionné qu’après l’épisode du déluge, récit commun à ces deux références incontournables. Certains auteurs attribuèrent à sa consommation la réduction de la durée de vie après l’épisode du déluge ! L’invention du vin est sans doute due au hasard à partir du fruit de la Vitis vinifera et des lambrusques sauvages dès le néolithique. Quoi qu’il en soit, à Noé fut attribué le titre de premier viticulteur plantant sur le mont Ararat le premier cep dont l’origine diverge selon les textes ; confirmée également par les études au carbone 14 menées par les archéologues sur les concentrations de pépins de raisin fossilisés dans cette région l’apparition de la vigne a bien lieu en Géorgie et en Arménie. Avec le vin Noé découvrit l’ivresse et ses conséquences fâcheuses rapportées dans la Bible à travers la malédiction de Cham puis l’histoire des filles de Loth ou du festin de Balthazar.

Les Egyptiens optimisèrent la culture de la vigne à partir de Vinis sylvestris le plus souvent en hauteur sur des pergolas. Les tombeaux (Tombe de Sennefer) ou les mastabas (Tombe de Nakht) rapportent toutes les étapes de la fabrication du vin. Osiris Dieu de la vigne et de la résurrection, en serait à l’origine lui conférant une valeur sacrée dont témoigne la présence de la vigne sur les peintures murales et l’accumulation d’amphores vinaires auprès du défunt. La tombe de Toutankhamon contenait 26 amphores de vin étiquetées dont certaines avoisinant 40 ans d’âge, témoignant des qualités de vieillissement des vins Égyptiens.

Les fouilles récentes d Abydos (période Nagada III 3300 avant J.-C.) retrouvent dans la tombe du Roi Skorpio Ier, 750 amphores étiquetées représentant 4500 litres de vin toutes importées de Palestine. Dès la période suivante soit 3200 avant J.-C., on note l’apparition des amphores égyptiennes faisant état d’une production locale essentiellement sur le delta du Nil et dans les oasis mais il fallut attendre les Ptolémée pour voir la culture de la vigne gagner la Haute-Egypte. Les grands domaines viticoles appartiennent à une élite restreinte. L’Égypte nous laisse des noms de crus célèbres tels le taniotique (blanc et doux) et le mariotique (blanc léger) apprécié de Cléopâtre.

Les Égyptiens, dotés d’une administration méticuleuse, nous fournissent des renseignements essentiels à partir des étiquetages qui mentionnent le lieu de production, le chef vigneron, le destinataire et précisent les qualités : nefer (bon vin), nedjem (vin sucré), paour (médiocre, pour les serviteurs). Les vins égyptiens déclinaient les trois couleurs et une gamme riche de saveurs. S’ils étaient essentiellement destinés aux pharaons et aux dieux, le peuple savait l’apprécier même s’il se nourrissait le plus souvent de bière. À dater des Ramsès, le vin se démocratise mais le prix demeure 5 à 10 fois supérieur à la bière.

Les Grecs ont leur dieu du vin, Dionysos, qui leur révéla la vigne. À travers l’Iliade et l’Odyssée, Homère (qualifié d’Homerus vinosus par Horace) fait de très nombreuses allusions au vin tant au niveau des libations festives que des abus néfastes. Avec les grecs s’inaugure le raffinement des accessoires telles les coupes d’or et d’argent ainsi que des rituels de consommation. Les vins crétois de Cnossos ont conquis les pays limitrophes dès le 3e millénaire puis seront relayés par la qualité du travail des viticulteurs grecs secondés par les négociateurs et les navigateurs.

Pour les Grecs, la culture de l’olivier et de la vigne est la base de la société évoluée et les barbares se distinguent par la consommation du vin pur, sans être coupé. La description des symposiums -dont le célèbre banquet de Platon-nous livre les codes des usages de consommation et les règles de convivialité.

Le code social et culturel chez les Grecs préservait les jeunes et les adolescents de la consommation du vin, apanage de l’homme mûr. L’ivresse publique déconsidérait les édiles, les politiques, les militaires et les aristocrates mais en revanche la consommation de vin, y compris excessive, était admise et même parfois obligatoire afin de libérer l’esprit et le cœur des contraintes sociales. Ainsi quand, sous l’impulsion d’Aspasie, compagne de Périclès, les femmes prirent part aux banquets, apparurent les symposiums (signifiant boire ensemble), moments exclusivement réservés aux hommes – hormis la joue de flûte et la danseuse – où l’ivresse était gérée par le maître des lieux fixant la puissance du vin par le coupage et la quantité à absorber par chaque convive. Pour ne pas avoir respecté cette règle, Callisthène, neveu d’Aristote, ami et historiographe d’Alexandre, connut la disgrâce.

Les Grecs régnèrent pendant plusieurs siècles sur la viticulture, élaborèrent des vins célébrés dans l’antiquité ne négligeant jamais leurs apports médicinaux promus par Hippocrate (460-377 av. JC) prônant la consommation en suffisance mais sans excès… Nous verrons, dans la prochaine rubrique, comment les Romains s’inspirèrent de leurs exemples pour continuer la célébration et la culture des vins.

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