Le terme Chryséléphantin, dont la racine grecque se rapporte à l’alliance des 2 matériaux précieux « l’or » et « l’ivoire », est une technique de sculpture apparue aux environs du VIe siècle av JC qui associait l’utilisation de l’ivoire pour représenter habituellement le corps humain et de l’or pour figurer les coiffures, vêtements, bijoux ou les ornements. Une des plus célèbres était la monumentale sculpture Zeus à Olympie réalisée par Phidias. Aujourd’hui disparue, elle faisait partie des 7 Merveilles du Monde.

Les artistes du début du XXe siècle ayant appartenu aux mouvements de l’Art Nouveau puis de l’Art Déco ont repris et développé cette technique et produit de très nombreuses sculptures chryséléphantines, en conservant le plus souvent l’usage de l’ivoire mais en remplaçant l’or par l’argent ou le bronze. Dans l’après guerre, les sculptures bronze ivoire représentent des danseuses,
des clowns, des acrobates ou autres personnages correspondant aux loisirs de l’époque, cabarets, music-hall, ballets.

C’est Demeter Chiparus, sculpteur d’origine roumaine qui, un des premiers et avec le plus grand talent, représenta dans ses chryséléphantines la fameuse danseuse californienne Isadora Duncan qui concevait son art avec une liberté très nouvelle pour l’époque, dans une gestuelle souvent improvisée et se référant aux figures antiques grecques et donc au culte de la beauté du corps.

Bronze chryséléphantin, ivoire et marbre. H : 29 cm

Plusieurs artistes vont le suivre sur la même voie dont Alexandre Kéléty. Cet artiste d’origine hongroise, arrivé en France à la fin de la 1ère guerre mondiale est surtout connu comme sculpteur, en particulier animalier mais il a aussi réalisé des chryséléphantines. Celle qui est présentée ici, intitulée un cœur à prendre est typiquement Art Déco, tant par les matériaux utilisés (l’ivoire et le bronze) que par le thème choisi de la danseuse. Le buste du personnage est en ivoire. Le modelage des traits est très fin. La polychromie sur le visage souligne les lèvres et les sourcils. La coiffure
est typique des années 20. L’attitude de la femme qui rassemble ses bras sous son menton évoque un geste de timidité enfantine. La robe bouffante, en forme de cœur donne son nom à l’oeuvre. Elle est composée de bronze et est ornementée d’une multitude de petits cœurs, motifs continuellement répétés et séparés par des lignes ondulantes. Le recours de l’artiste au procédé de l’acide sur
métal lui confère sa patine noire et dorée.

Les pieds chaussés apparaissent sous la robe et le personnage se tient debout sur un socle en marbre beige veiné dont le coloris est soigneusement choisi pour s’accorder aux teintes du corps et de la robe. L’ensemble dégage un charme irrésistible. Ce style Art déco est un mouvement, qui pour la première fois dans l’histoire de l’Art, aura eu une portée mondiale. Il a intéressé tous les arts
décoratifs : l’architecture, le mobilier, les vêtements, les bijoux, les lampes, les couverts et toute autre sorte d’objets. Il culminera en 1925, ayant marqué une époque, né puis mort avec elle, avec les rêves d’une bourgeoisie qui va mener l’Europe et le monde aux catastrophes des années 40.

Pascal Gueret

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