L’année 2019 a vu 63 Infirmiers en Pratique Avancée (IPA) sortir des bancs des universités. Les bases de cet exercice en Pratique Avancée (PA) ont été posées par une première Loi en 2016 (1) puis le 18 juillet 2018 à travers 2 décrets et 3 arrêtés, entrés en vigueur dès la rentrée universitaire de septembre 2018 (2). Plus de quinze ans de réflexion, d’expérimentations (3) et de négociations auront été nécessaires pour que le système français parvienne enfin à mettre en place un Diplôme d’État permettant la formation d’infirmiers en pratique avancée.

Genèse

Les origines de la pratique avancée (4) sont à rechercher outre-Atlantique où sous ce vocable de PA sont regroupées les infirmières spécialistes cliniques qui assurent des soins complexes mais sans actes dérogatoires et les infirmières praticiennes qui quant à elles peuvent poser un diagnostic, prescrire,… La France, qui a retenu la définition adoptée par le Conseil International des Infirmières (5) a opté pour le modèle d’infirmière praticienne permettant la réalisation de certains actes dérogatoires dont la prescription, sous certaines conditions bien défi nies réglementairement. Mais ne nous trompons pas : cette appellation particulière dérive des traductions de l’anglais (advanced practitioner nurse) et ne la gratifions pas de ce qualificatif « avancée » pour l’opposer à d’autres pratiques qui pourraient être dites « reculées » (6).

Contexte

Ce qui est en revanche commun à toutes ces formes de PA, quel que soit le pays, c’est le contexte qui cumule toujours, une augmentation de la demande en soins de santé, avec augmentation de l’ espérance de vie et du vieillissement associé, provoquant une complexification et une demande accrue de soins chroniques en institution et à domicile, une diminution de l’offre de soins associant une pénurie médicale à une répartition inadéquate, et enfin une volonté et une capacité des infirmières à apporter leur contribution pour maintenir une offre de soins dans un contexte sanitaire économiquement contraint.
Quant aux impacts de cette PA, toutes les études aboutissent au même constat : une amélioration de l’accès aux services, notamment par la réduction des temps d’attente, une qualité des soins comparable à celle des médecins pour ce qui ressort de la prise en charge d’une affection mineure et le suivi de routine de patients atteints d’affections chroniques, et une satisfaction accrue des patients attribuée notamment aux durées de consultation plus importantes accordés par les IPA aux patients par comparaison aux médecins. L’impact économique des IPA est pour sa part variable et contextuel en fonction des scénarios adoptés.
A ce jour, ce nouvel exercice en PA a fait couler beaucoup d’encre dans la profession elle-même mais aussi dans les professions soignantes en général : des plus enthousiastes aux farouchement opposés en passant par les perplexes, les attentistes, ou les peureux… Force est de constater qu’en dépit de constats similaires faits il y a quelques années chez nos cousins canadiens, à l’heure actuelle, des soins sans IPA sont désormais inconcevables. Pour la France en août 2019, trois arrêtés et deux décrets sont venus étoffer le cadre législatif en adjoignant, entre autres, un quatrième domaine aux trois déjà existant,
celui de la santé mentale et de la psychiatrie (7).

Quelle formation ?

Concernant l’accès à la formation, des modalités d’admission sont défi nies et organisées par chaque établissement d’enseignement supérieur accrédité ou co-accrédité à délivrer le diplôme d’État d’infirmier en pratique avancée. Peuvent prétendre à la formation conduisant à ce diplôme les candidats justifiant du diplôme d’État d’infirmier et ayant 3 années d’expérience pour exercer. La formation vise à l’acquisition des connaissances et compétences nécessaires à l’exercice infirmier en pratique avancée ainsi qu’à la maîtrise des attendus pédagogiques correspondant au grade universitaire de Master délivré. La première année consiste en un tronc commun de connaissances à acquérir et la deuxième année permet une orientation parmi les quatre domaines existant). Les enseignements théoriques, méthodologiques, appliqués s’additionnent aux stages (durée minimale de 2 mois en semestre 2 et 4 mois en semestre 4), le tout étant adossé à la recherche avec présentation publique d’un mémoire.

Pour quelles missions ?

Les missions de l’IPA sont très diversifiées allant de l’évaluation de l’état de santé des patients en relais de consultations médicales pour des pathologies à la recherche, à l’analyse, à la production de données professionnelles et scientifiques en passant par la maîtrise de la conception, de la mise en place, de la coordination et de l’évaluation des parcours de santé. Les IPA, dans leur champ de pratiques incluent des activités d’orientation, d’éducation, de prévention ou de dépistage, des actes d’évaluation clinique et de conclusion clinique, des actes techniques et des actes de surveillance cliniques et paracliniques. Le tout défini dans un mode de fonctionnement étant bien codifié .

Quelle responsabilité ? (8)

Les obligations sont fixées par les conditions nécessaires pour exercer (expérience de 3 années, DE IPA…). Quant aux modalités d’accomplissement de l’exercice IPA, il faut distinguer :
• le champ de compétence autonome pour lequel et pour de nombreux actes il existe une certaine liberté d’action : interpréter des résultats, demander des
actes de suivi, prescrire des examens, adapter certaines prescriptions,…, champ qui peut être comparé au rôle propre de l’IDE,
• du domaine d’intervention limité qui à la première lecture pourrait se résumer à une liste d’actes mais qui en deuxième lecture dévoile des missions
générales qui vont au-delà d’une liste d’actes.

On peut retenir qu’il n’y pas de régime de responsabilité spécifique applicable à l’IPA, ce sont les règles de droit commun qui s’appliquent.

Comment introduire l’IPA dans les structures ?

C’est certainement la partie la plus délicate car il faut bien se garder d’appliquer un modèle. La France tout comme les autres pays avant elle devra se laisser
guider par les besoins de la population. Une méthode décrite par Bryant-Lukosius et Di Censo en 20049 et appelée PEPPA permet d’éviter cet écueil. Elle
décrit un système en 9 étapes qui aide à introduire la PA.

La question de la rémunération reste entière tant dans la fonction publique qu’en milieu libéral car même si certains textes sont sur le point de paraître (10), ils n’en demeurent pas moins insatisfaisants pour les intéressés.

Qu’en pensent les usagers ?

Si on se réfère à un sondage paru récemment dans les échos, force est de constater que même si ce papier ne cite pas les IPA, les réticences face à la prescription ne viennent pas de la population elle-même puisque 82 % des personnes interrogées « se disent prêtes à accepter qu’un infirmier prescrive (…)» (11).

Avenir

Les dés sont jetés et le vent est favorable, à tel point qu’après l’annonce faite par Mme Buzin annonçant bientôt l’affectation d’une IPA aux urgences, le rapport El Khomri paru en octobre 201912, prône l’émergence d’un nouveau domaine, celui de l’IPA en gérontologie.
Il est à noter cependant que même si le choix français a porté initialement sur une approche pluri-pathologies pour l’IPA, la multiplication des domaines médicaux va présenter un nouveau risque, celui du chevauchement des domaines. A titre d’exemple IPA en pathologies chroniques et IPA en gériatrie. C’est pourquoi dans de nombreux autres pays, le choix initial s’est porté sur une approche populationnelle et non par pathologies.

Conclusion

Gardons à l’esprit que l’IPA est une IDE experte en soins infirmiers qui additionne et potentialise ses activités cliniques, de conseil, de leadership, d’enseignement, de formation et de recherche. C’est une personne ressource pour les patients, les médecins, l’encadrement, l’équipe soignante et c’est une
fonction nouvelle qui favorise la performance. En revanche l’IPA n’est pas un ersatz de médecin (13), un externe en médecine, un cadre de santé qui, elle, doit avoir le leadership management alors que l’IPA aura le leadership clinique, un assistant médical, une IDE centrée exclusivement sur la prescription médicamenteuse, une super infirmière qui signifierait qu’il y a des IDE « pas super » ou encore une IDE qui ne viendrait concurrencer quiconque au sein de l’offre de soins .
La PA constitue une opportunité pour la profession infirmière, permettra d’améliorer l’offre de soins mais sera associée à des défi s. Mais un défi n’est-il pas fait pour être relevé ?

Véronique Thoré, Directrice I.F.A.S CHRU Nancy
v.thore@chru-nancy.fr

L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts relatifs à cet article.

RÉFÉRENCES

1. Loi n°2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé. https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000031912641&categorieLien=id

2. Décret n° 2018-629 du 18 juillet 2018 relatif à l’exercice infirmier en pratique avancée.
Arrêté du 18 juillet 2018 fixant la liste des pathologies chroniques stabilisées prévue à l’article R. 4301-2 du code de santé publique.
Arrêté du 18 juillet 2018 fixant les listes permettant l’exercice infirmier en pratique avancée en application de l’article R. 4301-3 du code de santé publique.
Décret n° 2018-633 du 18 juillet 2018 relatif au diplôme d’État d’infirmier en pratique avancée.
Arrêté du 18 juillet 2018 relatif au régime des études en vue du diplôme D’état d’infirmier en pratique avancée.

3. Berland Y. Mission « Coopération des professions de santé : le transfert de tâches et de compétences ». Paris : La Documentation française ;
2003. https://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/034000619.pdf

4. Delamaire ML, Lafortune G. Les pratiques infirmières avancées : Une description et évaluation des expériences dans 12 pays développés [Internet]. OCDE ; 2010 [cité 10 avril 2014] p. 1-119.
Disponible sur : http://dx.doi.org/10.1787/5km4hv77vw47-fr

5. Cf encadré 1, définition de l’IPA par le CII

6. https://www.ascodocpsy.org/santepsy/index.php?lvl=notice_display&id=353076

7. Décret n° 2019-835 du 12 août 2019 relatif à l’exercice infirmier en pratique avancée et à sa prise en charge par l’Assurance Maladie.
Décret n° 2019-836 du 12 août 2019 relatif au diplôme d’Etat d’infirmier en pratique avancée mention psychiatrie et santé mentale.
Arrêté du 12 août 2019 modifiant l’arrêté du 18 juillet 2018 relatif au régime des études en vue du diplôme d’Etat d’infirmier en pratique avancée.
Arrêté du 12 août 2019 modifiant les annexes de l’arrêté du 18 juillet 2018 fixant les listes permettant l’exercice infirmier en pratique avancée en application de l’article R. 4301-3 du code de la santé publique.
Arrêté du 12 août 2019 relatif à l’enregistrement des infirmiers en pratique avancée auprès de l’ordre des infirmiers.

8. La responsabilité de l’infirmier en pratique avancée, Emmanuelle MEL https://www.em-consulte.com/article/1292205/article/la-responsabilite-juridique-de-l-infirmier-en-prat

9. Bryant-Lukosius D, DiCenso A. A framework for the introduction and evaluation of advanced practice nursing roles. J Adv Nurs. 2004 ; 48(5) : 530-40.

10. https://www.infirmiers.com/profession-infirmiere/presentation/ipa-expertise-et-competences-acquises-non-valorisees.html

11. https://www.lesechos.fr/economie-france/social/les-francais-plebiscitent-le-transfert-des-taches-medicales-aux-infirmiers-1134848

12. https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_el_khomri_-_plan_metiers_du_grand_age.pdf

13. Extrait du colloque sur la pratique avancée par Christophe Debout à Nancy 4 avril 2019

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