Les gastronomes du monde antique

Le défilement des siècles a consacré trois noms illustres parmi les gastronomes du monde antique, personnages contrastés toujours célébrés de nos jours : le poète voyageur Archestrate, le cuisinier extravagant Apicius et le gourmet esthète Lucullus.

 

La Sicile était encore grecque quand naquit Archestrate de Gela en 330 avant J.C. sous le règne de Denys le jeune. Cet ami du fils de Périclès est connu comme l’auteur du livre le plus ancien de la cuisine grecque. Sous forme d’un poème épique en hexamètres, dont nous

sont parvenus 56 fragments, il parcourt un voyage gastronomique autour de la méditerranée, rapportant peu de recettes culinaires mais s’intéressant aux mœurs de la table des régions visitées. Des cinq titres proposés, c’est celui de « Gastronomie » qui s’imposera et sera redécouvert au 19e siècle en France par Joseph Berchoux qui le popularisera lors de l’essor de la cuisine et des arts de la table en France sous la révolution et l’empire quand « le signifiant aura rencontré son signifié ».

Homme cultivé et raffiné, de petit appétit et toujours raisonnable, disciple de Terpsion, inventeur du genre par son
ouvrage « gastrologie », il visite la Grèce, au sens large du terme jusqu’à la mer Noire, limitant sa table à 4 ou 5 convives pour en apprécier la qualité au- delà de tous excès.

Célébré par les auteurs de la Grèce classique (Athénée, Chrysippe), il devait décéder dans un état de maigreur extrême vraisemblablement en rapport avec un cancer de l’estomac.

Il préfigure les voyageurs-géographes comme Pausanias ou Strabon et aussi les guides de voyages culinaires que nous connaissons aujourd’hui rapportant aussi bien les produits que les us et coutumes régionaux.

Son nom est au fronton du restaurant d’Alain Senderens qui a reproduit certaines des rares recettes connues.

C’est un tout autre personnage qu’Apicius, résident de Minturnes, en Campanie, qui fut à la fois honoré de son temps mais aussi décrié par les philosophes et en particulier détesté de Sénèque « Homme à l’appétit pervers dont les caprices sont immodérés et insatiables ». Né en 25 av. J.C., Marcus Gavius Apicius, présenté parfois comme le cuisinier de Tibère, était un homme riche qui consacra jusqu’à sa ruine (relative selon Sénèque) une grande partie de sa fortune, le conduisant à se suicider en 37 ap. J.C. car se trouvant trop pauvre pour continuer à vivre sur le même rythme de luxe et de raffinement.

Une ambiguïté demeure avec Apicius car nous retrouvons 3 personnages portant le même nom mentionné sur 3 siècles mais bien distincts ce qui laisse à penser, comme le suggère Tertullien, que le nom d’Apicius signifiait le gourmet amateur excessif ou peut être le cuisinier. Vraisemblablement son livre « De re coquinaria » s’est élaboré au fil des siècles successifs mais peut-être bien initié par Apicius auquel le nom est resté attaché. Il se présente comme un traité en 10 livres où se succèdent des recettes classées par ingrédients ou par plats. Il est resté célèbre pour ses ragouts, ses pâtisseries, la sole au gratin, les préparations de concombre et de becfigues….et même les coquillettes avant Marco Polo si l’on en croit Thierry Marx .

Débauché, proche de Drusus, petit-fils d’Auguste, peut être favori de Séjan, préfet de Tibère, (selon Tacite), il eut le mérite de créer la première école de cuisiniers, science de taverne odieuse aux stoïciens comme aux premiers chrétiens., innovant des recettes les plus extravagantes pour se singulariser (comme les langues de flamants roses ou les talons de chameaux au miel) mais qui marqua ses contemporains par des anecdotes témoignant de ses excès (le voyage à Smyrne pour acheter des cigales de mer ou le prix exorbitant payé pour un poisson).

Pline l’ancien rend cependant hommage à son raffinement culinaire mentionnant « le foie gras de truies » engraissées avec des figues sèches ; ii inventa des techniques personnelles pour conserver le croustillant, la couleur et la fraîcheur des légumes et améliora la recette du garum, sauce romaine traditionnelle proche du Nuoc-mam. Grand amateur d’huitres, il les faisait transporter de Gaule en amphores conservées dans la saumure avec des escales de voyage aménagées.

Le nom d’Apicius passera à la postérité comme initiateur d’un livre de cuisine qui sera complété au fil des siècles et le créateur d’une école de cuisine expliquant sa présence sur le fronton de restaurants actuels.

Avec Licinius Lucullus (118-56 av J.C.), nous découvrons un personnage public et respecté. Aristocrate issu d’une famille célèbre, il rejoint naturellement les conservateurs (les Optimates) auprès desquels il mène sa carrière publique jusqu’au consulat. Juriste et Augure, ami de Sylla, Caton d’Utique et Cicéron, il devient général pour conduire avec succès les guerres contre Mithridate VI et Tigrane. Victorieux, brillant organisateur, il est cependant déposé par Pompée, son ennemi politique, qui fera retarder de trois ans la célébration de son triomphe à Rome.

Revenu à la vie civile, il traversera affaires et procès fomentés par la jalousie. Esthète et philosophe, parlant grec, il se constituera une bibliothèque exceptionnelle qu’il abritera dans des villas somptueuses à Baies et Tusculum. Disposant d’une fortune considérable, il y aménagera des thermes, des volières, des viviers alimentés d’eau de mer.

De ses campagnes en Asie Mineure, il est célèbre pour avoir rapporté en Italie, la cerise griotte, « la perle rouge » qui tire son nom de la ville de Cerasus (Cerasonte), lieu d’une victoire militaire en 73 av J.C.
Son luxe était à la hauteur de ses moyens et il chassait sur ses terres des animaux pour ses dîners, de même qu’il appréciait de manger dans sa volière les grives et les merles pendant que les oiseaux bruissaient autour de lui. Il demeure célèbre par une réplique à son maître d’hôtel qui n’avait prévu qu’un modeste repas un jour sans invité « Ne Sais-tu pas que Lucullus, aujourd’hui, dîne chez Lucullus » pour exprimer que seul ou accompagné sa table devait demeurer exceptionnelle.

Les magnificences et le luxe de sa table étaient réputés et ses dîners à l’improviste ou programmés avaient frappé l’imagination de ses contemporains ; Il confectionnait son omelette au miel (un dessert) et affectionnait les truffes déjà servies sous la cendre mais rien n’égalait la qualité de ses poissons et de ses gibiers. S’il appréciait de recevoir à sa table les personnages les plus célèbres, comme Pompée ou Cicéron, il se réjouissait d’y convier des plus modestes en particulier les philosophes grecs de passage à Rome.
La table de Lucullus est passée dans l’histoire pour désigner une table somptueuse aussi bien par ses mets que par ses apprêts. Aujourd’hui le nom de Lucullus qualifie certains plats en particulier les macaronis à la Lucullus enrichis de truffes et de foie gras.

Archestrate, Apicius et Lucullus sont trois noms qui ont traversé les siècles pour inspirer aujourd’hui encore nos cuisiniers et nous rappeler la grande aventure de la cuisine au fil du temps.

 

BIBLIOGRAPHIE SUCCINCTE

Lucullus général et gastronome ; Yann Le Bohec ; Edition Tallandier

Histoire de la cuisine et des cuisiniers ; E Neirinck J-P Poulain ; L.T. édition Jacques Lanore

Histoire naturelle et morale de la nourriture ; Maguelone Toussaint-Samat ; In extenso Larousse

L’histoire à la carte ; Thierry Marx, Bernard Thomasson Editions de La Martinière

Jacques Gauthier

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