L’influence de Vénus.
Enluminure de l’Epitre Othéa (circa 1400).
Christine de Pizan.

Christine de Pizan devient veuve à l’âge de 23 ans. Mère de 3 enfants, elle va entreprendre des études, se consacrer à l’histoire puis à la littérature, rencontrant le succès auprès de la cour. Poète, philosophe, elle rédige même des écrits moraux et politiques. Elle est souvent considérée comme la première femme de lettre ayant vécu de sa plume. Pour certains, c’est aussi une des premières écrivaines « féministes » françaises.

L’Epître Othéa, rédigée à partir des années 1400, est une allégorie qu’Othéa, déesse de Sapience et de Prudence inventée par Christine (α θεá », Ô Thea : “ô déesse”), aurait envoyée au jeune prince de Troie, Hector âgé de quinze ans pour affermir sa vocation chevaleresque. Il s’agit d’un livre d’enseignement à un prince tout autant qu’un ouvrage de mythologie.

Le personnage d’Hector est choisi pour des raisons politiques, les princes français étant supposés descendre de la race troyenne. Au niveau didactique, c’est le sujet des vices et des vertus qui est traité.

L’Epître regroupe une centaine de poèmes évoquant la guerre de Troie ou la mythologie grecque, sujets très appréciés à l’époque. Ecrit en vers, chacun est accompagné d’une interprétation morale rédigée en prose, conseillant l’exercice d’une vertu chevaleresque puis d’une conclusion parfois philosophique s’adressant au « bon esprit » et qui parle de la vie de l’âme.

Dès sa parution, cet ouvrage connut un très grand succès et fut ensuite reproduit au cours des décennies suivantes sous forme d’une cinquantaine de manuscrits, certains mêmes traduits en anglais et diffusés dans l’Europe entière.

De riches enluminures illustrent le texte.  En fonction du manuscrit et de l’époque de sa production, les artistes ont été différents.

L’enluminure présentée ici est une de celles qui ornent le manuscrit conservé à la BnF. Elle est intitulée « l’influence de Vénus » et se réfère donc à la mythologie grecque. La scène se déroule en plein air comme l’indique le décor bucolique représenté par un arbre de part et d’autre. Elle est divisée en 2 parties égales. Les personnages sont regroupés dans la partie inférieure de l’œuvre dont la moitié supérieure est entièrement occupée par la représentation de la déesse. Ces hommes et femmes de cour revêtus de somptueux vêtements offrent un cœur à Vénus qui en a déjà recueilli plusieurs dans sa robe, ce qui suggère une action renouvelée.

Dans cette enluminure, l’artiste n’a principalement fait appel qu’aux 3 couleurs primaires.

Le rouge, couleur de l’interdiction et du danger mais, à cette époque, surtout couleur de l’amour, de la passion (avec une majuscule – celle du Christ- ou sans- celle de l’amour profane), de la joie mais aussi du sacrifice. Cette ambivalence concerne également le coeur, de couleur rouge bien sûr, symbole d’amour profane mais aussi divin.

Le bleu ensuite : cette couleur réservée initialement aux armoiries royales apparaît progressivement au cours du moyen âge sur de nombreux autres supports et en particulier sur les vêtements d’apparat. Cette couleur est celle choisie par l’artiste pour le fond servant à mettre en scène le personnage en majesté. La couleur de la voûte céleste constellée de petites étoiles et dont l’intensité croît du bas vers le haut aide à signifier la présence de Dieu, substitué ici par la déesse.

Puis le jaune, dont l’usage et l’image sont pourtant en déclin à cette époque de la fin du Moyen-Âge. Longtemps associé à l’or et à l’immortalité, le jaune devient progressivement une couleur ambivalente. On peut penser que dans cette enluminure, il est plus associé au blé mur, à l’abondance et la prospérité qu’au mensonge ou à la traitrise, significations qu’il revêtira plus tard.

Enfin, afin de procurer du relief à l’ensemble, le contour des personnages et du décor sont soulignés de fins traits, noirs ou blancs, en particulier le dessin festonné du ciel évoquant des nuages et séparant le monde profane du monde spirituel.

Le texte accompagné par cette enluminure nous manque ici, mais gageons que le prince Hector eut été sensible au message transmis par ce chef-d’œuvre.

Pascal Gueret

 

 

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