La libido est dans l’assiette

 

Introduction

Le souci de doper ses facultés sexuelles est une constante dans l’histoire des civilisations. Aussi nos anciens, à travers l’imagination des poètes ou la rigueur des botanistes, ont scrupuleusement recherché dans la nature des éléments favorables pour accroître leurs performances et stimuler leur libido. Si les aliments aphrodisiaques peuvent être un recours utile, il ne faudrait pas restreindre le champ de leurs actions à une vision priapique, l’obsession érectile du sexologue Jacques Waynberg, mais y associer la part féminine symbolisée par la déesse Aphrodite qui attribue le qualificatif à ces adjuvants.

Vraisemblablement porterez-vous un regard plus attentif à la composition de votre mesclun quand vous lirez que la roquette est la championne des plantes portant à l’amour, qualifiée d’”herbe lubrique” (herba salax) par le poète latin Ovide dans son ouvrage « l’art d’aimer ». La roquette tire son nom du latin d’eruca, du fait que ses tiges sont hérissées de poils, à l’image des chenilles désignées par ce même terme. Avant Ovide, les Égyptiens, les Etrusques et les Grecs en avaient établi la réputation aphrodisiaque et les prescriptions médicinales côtoyaient les invocations aux dieux Eros (fi ls d’Aphrodite) ou Priape (autre fi ls avec Dionysos).Les vers de Virgile, repris par Martial et Columelle, consacrèrent les vertus aphrodisiaques de la roquette « venerem revocans eruca morantem » (la roquette réveille la vénus endormie). Dioscoride (médecin de Néron 40-90 AP. JC.) renchérit en la surnommant « semence d’Héraclès ». Pline la juge diurétique et stimulante rejoignant ses contemporains sur ses vertus érotiques et attribuant à ses feuilles des valeurs antiscorbutiques et à ses graines des qualités vomitives.
Cette plante diabolique qui prédispose à la fornication fut de facto condamnée par les autorités religieuses au Moyen Age. « Le diable est dans les salades, Lucifer dans les légumes verts » « non convent monachis ut in hortis erucam alant » (la roquette ne convient pas au jardin des moines).

Au 12ème siècle, Sainte Hildegarde de Bingen, une des figures mystiques les plus reconnues de la chrétienté, dans son ouvrage intitulé « Le Jardin de santé »décrit la roquette comme “excitante aux jeux de l’amour ». A noter que dans ce même ouvrage elle préconise le houblon pour la fabrication de la bière avec un succès jamais démenti. Bartolomeo Sacchi dit Platina (1421-1481), humaniste bibliothécaire de sixte IV mais non moins épicurien et amateur de cuisine, recommande dans « de honesta voluptate et valitudine » d’adjoindre la roquette à l’apaisante laitue « pour que la ferveur se mêle à la froideur ». De saveur âcre, amère et piquante, la roquette est classée parmi la famille botanique des Brassicacées (ou crucifères) qui inclut aussi le cresson, le raifort, la moutarde, le colza, etc… La roquette, de composition assez proche, contient des sels minéraux, des principes amers, de la vitamine C, et une essence volatile dont les composés sulfuro-azotés caractérisent la famille et contribueraient à sa réputation. Le Petit Albert, réputé grimoire de magie, publié en 1706, rapporte une recette pour l’amour composée de roquette, de céleri et de satirion (sans doute la sarriette). On en fit de nombreux élixirs aphrodisiaques dont le célèbre electuarium. Mélangée à du vin et du miel, elle constitue un breuvage souverain pour accroître les capacités sexuelles. Et que dire de l’ajout de pignons pour en renforcer les effets !

Mention particulière à la mandragore, plante méditerranéenne herbacée de la famille des solanacées, (belladone, datura, jusquiame…) dite herbe de Circé, porteuse de mythes et légendes depuis l’antiquité. Parée de vertus magiques en raison de la forme de sa racine bifide, évoquant des jambes humaines, et riche en alcaloïdes, elle est mentionnée déjà dans le papyrus Ebers (le plus ancien traité médical connu découvert à Louxor et datant du XVIe siècle avant J.-C.). Dans la bible, la mandragore serait le fruit de la solitude d’Adam qui avant la création de la femme perdait sa semence dans le sol, expliquant les formes humanoïdes des racines de la mandragore. Qualifiée de « fleur (ou pomme) d’amour », la genèse attribue à la mandragore ou dudhaïm la fécondité de Rachel et Jacob.
Théophraste (372-287 av. JC.) élève d’Aristote, père de la botanique, évoque ses propriétés aphrodisiaques dans son traité « Recherche sur les plantes » insistant aussi sur ses autres utilités liées aux propriétés sédatives. Dioscoride dans son « histoire naturelle » lui attribue, parallèlement à ses vertus aphrodisiaques, des propriétés anesthésiantes identiques à celles du pavot.
Son rituel complexe d’arrachage, déjà évoqué par Hippocrate, avec des précautions nécessaires (les nuits du vendredi, sans la toucher, en l attachant au cou d’un chien condamné…) a nourri l’imaginaire et renforcé son pouvoir.

La mandragore se cueillait au pied du gibet où elle avait été arrosée par la semence des pendus… Nombreux sont les plantes et légumes auxquels sont attribués des vertus aphrodisiaques ; nous écartons de notre propos la truffe, indiscutable, mais sujet d’une chronique antérieure.
L’aspect phallique de l’asperge lui conféra un franc succès durant des siècles. La théorie des signatures (phytognomonie du napolitain Della Porta) déjà promue par Paracelse résumée « similia similibus curantur » est basée sur le fait que la morphologie des plantes leur confère des vertus thérapeutiques sur les organes qui leur ressemblent. Mais ce n’est pas l’unique raison pour laquelle l’asperge est considérée comme stimulant sexuel. Sa forte teneur en zinc contribue à un maintien d’un taux normal de testostérone dans le sang. De plus, les asperges sont riches en vitamines B et sont un précieux concentré de minéraux.
La fraise partageant la même richesse en vitamines et en zinc que l’asperge est pourvue des mêmes qualités.
La grenade, ce fruit de l’amour à la couleur rouge vif, contient de la pipéridine, que l’on retrouve aussi dans le poivre noir.
Autre aphrodisiaque naturel, le gingembre, plante tropicale millénaire de la famille des zingiberacea, occupe une place de choix dans le sud-est asiatique. En chinois gingembre veut dire virilité.
Puissant antioxydant riche en vit B (5- 6- 9), anti inflammatoire, son action serait liée au gingérol favorisant l’afflux de sang pénien et stimulant la production des spermatozoïdes. Le gingembre était utilisé par les empereurs chinois pour honorer leurs nombreuses concubines. L’huile essentielle de sa racine agit sur la circulation sanguine et permet ainsi de réveiller la libido. De plus cette racine est très riche en micronutriments : vitamine C, magnésium, fer et calcium.
Plus anecdotique, le bois bandé (écorce de richeria grandis) connait le succès aux Antilles provenant d’un effet vasodilatateur pénien ; il accompagne le punch ou plus sobrement les tisanes.

 

Les épices

Les épices et les herbes sont considérés comme aphrodisiaques en raison de leurs huiles essentielles stimulantes. Les épices comme le chili, la muscade et la cannelle sont bénéfiques à un épanouissement de la sensualité. La vanille est aussi connue pour un effet stimulant sur le désir lié à des substances proches des phéromones présentes dans les gousses. Le clou de girofle utilisé depuis le XIIIe siècle est propice à l’érection ; le safran serait l’épice aphrodisiaque par excellence du fait de sa teneur en phytostérol. A travers l’histoire des civilisations, toutes les régions du monde ont su promouvoir leurs aphrodisiaques régionaux.

 

La maca

Surnommée le ginseng péruvien, la maca est un aphrodisiaque légendaire. Ce tubercule de la famille des brassicaceae (chou, radis, moutarde…) était considéré comme aphrodisiaque par les incas. Cette petite plante très résistante, cultivée sur les hauts plateaux des Andes péruviennes, est censée détenir une action puissante sur la libido des hommes et des femmes. De plus la racine de Maca contient des minéraux et des oligoéléments : magnésium, étain, sélénium, zinc et surtout 2 alcaloïdes spécifiques : macaènes et macamides dont le rôle serait primordial.
Le chocolat des Aztèques n’échappe pas à la règle et les conquistadors oublièrent vite son goût d’amertume face aux vertus aphrodisiaques promises. Transporté en Europe il connut rapidement une vogue facilitée par la bienveillance de l’église autorisant sa consommation pendant le carême. Parmi les substances chimiques qu’il renferme la sérotonine et les endorphines euphorisantes favorisent le désir sexuel.

 

Le ginseng

Cette racine originaire d’Asie, connue sous le nom de « Reine des plantes médicinales » est un aphrodisiaque végétal naturel traditionnel de la médecine chinoise connue pour ses propriétés vasodilatatrices liées à la synthèse de NO. Le ginseng est censé être un aphrodisiaque particulièrement adapté aux femmes car la racine contient de l’arginine, qui majorerait le désir sexuel. Bénéfice supplémentaire, il renforce l’endurance…

 

Le ginkgo

Les graines de l’arbre gingko biloba qui pousse dans les contrées sauvages de Chine et du Japon sont utilisées depuis des siècles pour augmenter la performance, l’endurance et l’appétit sexuel des hommes mais ce sont des travaux allemands qui l’ont popularisé dans les années 50 pour son action artérielle avec peut-être un tropisme pénien. Le ginko peut se consommer de nombreuses manières différentes, les plus communes sont dans des boissons, thé ou infusions.
Le caviar était considéré en perse comme le pain des amants. En Russie, dès le XVIe siècle, on préparait un philtre d’amour mélangeant œufs d’esturgeon et lait de pavot pour « agiter le sang ». A sa teneur en arginine est attribué la vasodilatation et le rôle érectile.

 

Réalités scientifiques

Les chimistes et les botanistes s’employèrent à rechercher des éléments constitutifs des aliments aphrodisiaques à même de leur valoir cette réputation. Nous avons préalablement détaillé la richesse en zinc, en sélénium, en vitamines.
Un certain nombre de substances sont des médiateurs hormonaux proches de la sérotonine, des endorphines et les phytohormones favorisent la fabrication et la libération du NO comme la betterave et la pastèque riche en citrulline. Des phéromones sont détectées dans la truffe et l’asperge. Les vitamines du groupe B (en particulier B5 et B6) utiles à la synthèse des hormones sexuelles sont détectées en bonne quantité dans l’avocat et la maca Le céleri contient de l’androstérone, la grenade de la pipéridine.

 

Conclusion

Hippocrate (460 – 370 av JC) énonçait le principe toujours d’actualité : « Que ton alimentation soit ta seule médication » Appliquons ce même principe à notre libido et recherchons dans l’assiette les compléments pour son épanouissement sans s’illusionner sur les contraintes de l’âge « qui conduisent à ce que les raideurs se déplacent » (E Orsenna) et sur la réalité complexe du désir qui nécessite une motivation mentale. « Auxiliaire de la suggestion mentale (pour le Docteur de Ferry de la Bellone), les aphrodisiaques ne peuvent ajouter seulement aux qualités de ceux qui possèdent mais ils ne sont plus d’aucun secours à ceux qui n’ont pas géré leur capital en bons pères de famille et ont consommé leur ruine » Puisse le recours aux plantes, légumes et coquillages préserver la faune et en particulier les requins dont les ailerons sont prisés et le rhinocéros dont la corne à la présentation érectile est recherchée des prédateurs en manque de sensations.

 

Jacques Gauthier, Cannes

Commentaire(0)