Troubles du rythme ventriculaire au cours de l’infarctus du myocarde chez la femme 

 

Thèse soutenue pour l’obtention du grade de Docteur en Médecine le 29 septembre 2021 à la Faculté de Médecine de Nancy

 

 Contexte 

 

La cardiopathie ischémique est la première cause de décès dans le monde.1 Le taux de décès intra hospitalier dans l’infarctus du myocarde avec sus-décalage du segment ST reste aujourd’hui estimé à près de 10%.2,3 Ce taux de mortalité est à mettre en relation avec les infarctus du myocarde graves ou « compliqués ». Une des complications notables de l’infarctus à la phase aiguë est la survenue d’arythmies ventriculaires graves dont la fréquence est estimée entre 6 et 8% dans l’infarctus avec sus-décalage du segment ST (STEMI), et 2% dans l’infarctus sans sus-décalage du segment ST (NSTEMI).4,5 

Par ailleurs, il existe quelques spécificités de l’épidémiologie, la présentation clinique et angiographique de l’infarctus du myocarde entre les hommes et les femmes. En effet, la cardiopathie ischémique se développe en moyenne 7 à 10 ans plus tard chez ces dernières.6 Après 75 ans, les femmes représentent la majorité des patients se présentant pour un infarctus du myocarde. Pourtant, en raison d’une évolution plutôt péjorative du mode de vie de celles-ci, le taux d’infarctus du myocarde chez les femmes jeunes est en augmentation.3 La physiopathologie diffère quelque peu chez la femme avec plus de syndromes coronariens aigus sans coronaropathie épicardique ni cardiopathie structurelle. Outre la rupture de plaque thrombotique classique, elles peuvent également présenter dans une proportion non négligeable un spasme coronaire, une dissection, un hématome, une érosion de plaque ou même un réseau coronaire sain avec une atteinte microvasculaire.7,8

En parallèle, les différences décrites ci-dessus en termes de facteurs de risque ou de physiopathologie du syndrome coronaire aigu semblent également entraîner des différences pronostiques. On constate une altération du pronostic à long terme avec une tendance à la surmortalité chez la femme porteuse d’une coronaropathie obstructive. Dans la coronaropathie non-obstructive décrite historiquement comme « bénigne » il existe également une morbi-mortalité non négligeable, qui semble similaire à celle de l’homme.7,9,10 Certains essais ont montré que les femmes ont tendance à bénéficier moins souvent d’une coronarographie et d’une angioplastie que les hommes et donc d’une reperfusion myocardique moins efficiente.11

 

Méthodes

 

Nous avons donc souhaité étudier plus précisément les patientes présentant un trouble du rythme ventriculaire malin au cours d’un syndrome coronaire aigu. L’objectif de l’étude était d’estimer le taux d’incidence, décrire les caractéristiques et évaluer le pronostic lié au sexe et à la survenue ou non d’une arythmie ventriculaire grave au cours de l’hospitalisation pour un infarctus du myocarde. 

Les analyses ont été conduites sur les données issues du registre FAST-MI, qui a prospectivement inclus 14 406 patients hospitalisés en soins intensifs cardiologiques en France, dans les premières 48 heures suivant l’admission pour un IDM entre 1995 et 2015 (âge moyen 66±14 ans, 72% d’hommes, fraction d’éjection ventriculaire gauche moyenne de 52±12%, 59% d’IDM avec sus décalage du segment ST). La fréquence, les facteurs prédictifs de FV et le pronostic ont été étudiés chez les femmes par rapport aux hommes.  

 

Résultats

 

Parmi les 14 406 patients admis pour un infarctus du myocarde, 359 patients (2,5%) ont développé une FV, dont 15,0% étaient des femmes (N=81) (Figure 1). L’incidence de la FV était de 2,0% chez les femmes (81/4 091) et de 2,7% chez les hommes (278/10 315) (p=0,02). 

 

 

 

L’incidence de la FV a diminué au fil du temps entre 1995 et 2015 chez les hommes et les femmes (p<0,001 respectivement). Cette diminution était plus prononcée chez les femmes que chez les hommes. (Figure 2) 

 

 

L’âge (OR [IC 95%] 1,01 [1,00-1,02], p=0,05) et la présence d’un sus-décalage du segment ST sur l’électrocardiogramme (OR [IC 95%] 2,29 [1,75- 2,99], p<0,001) étaient indépendamment associés à la survenue d’une FV pendant l’IDM. En parallèle, le sexe féminin (OR [IC 95%] 0,73 [0,56-0,95], p=0,02), l’hypertension (OR [IC 95%] 0,75 [0,60-0,94], p=0,01) et l’antécédent d’IDM (OR [IC 95%] 0,69 [0,50-0,96], p=0,03) étaient, eux, des facteurs protecteurs. Par ailleurs, comparés aux premières années du registre, les épisodes de FV étaient moins fréquents dans les années les plus récentes (OR [IC 95%] 0,53 [0,37- 0,74], p<0,001 en 2010 et 0,40 [0,47-0,91], p=<0,001 en 2015 vs. 1995). Chez les femmes, le STEMI (OR 2,79, IC 95% 1,56-4,99, p<0,001) et le tabagisme actif (OR 1,84, IC 95% 1,10-3,10, p=0,02) étaient significativement associés à la survenue d’une FV. 

Les femmes étaient moins susceptibles de bénéficier d’une prise en charge invasive (angioplastie pendant l’hospitalisation 48,1% vs 69,1% chez les hommes, OR [IC 95%] 0,48 [0,29-0,80], p<0,001). Les femmes souffraient d’une mortalité à un an plus élevée que leurs homologues masculins (mortalité à 1 an de 23,1% [12/52] chez les femmes contre 7,0% [13/187] chez les hommes, HR brut 5,5, IC 95% 1,7-17,2, p=0,001, (Figure 3). Cependant, après ajustement sur l’âge, le type d’infarctus et la réalisation d’une angioplastie, le sexe féminin n’était plus associé à une surmortalité à un an (HR [IC 95%] ajusté 1,04 [0,71-1,51] p=0,85).  

 

 

Conclusion

 

Les femmes restent à plus faible risque de présenter une FV au cours d’un IDM que les hommes. Pourtant, en dépit de la survenue de cette arythmie grave, elles sont moins susceptibles de bénéficier d’une prise en charge invasive pendant l’hospitalisation et gardent un moins bon pronostic à un an que celui des hommes.

 

Orianne Weizman, Nancy

CORDIAM N°43 DÉCEMBRE 2021

 

RÉFÉRENCES 

  1. Moran AE, Forouzanfar MH, Roth GA, Mensah GA, Ezzati M, Flaxman A, et al. The global burden of ischemic heart disease in 1990 and 2010: the Global Burden of Disease 2010 study. Circulation. 2014 Apr 8;129(14):1493–501. 
  2. Kristensen SD, Laut KG, Fajadet J, Kaifoszova Z, Kala P, Di Mario C, et al. Reperfusion therapy for ST elevation acute myocardial infarction 2010/2011: current status in 37 ESC countries. Eur Heart J. 2014 Aug 1;35(29):1957–70. 
  3. Puymirat E, Simon T, Cayla G, Cottin Y, Elbaz M, Coste P, et al. Acute Myocardial Infarction: Changes in Patient Characteristics, Management, and 6-Month Outcomes Over a Period of 20 Years in the FAST-MI Program (French Registry of Acute ST-Elevation or NonST-Elevation Myocardial Infarction) 1995 to 2015. Circulation. 2017 Nov 14;136(20):1908–19. 
  4. Piccini JP, White JA, Mehta RH, Lokhnygina Y, Al-Khatib SM, Tricoci P, et al. Sustained ventricular tachycardia and ventricular fibrillation complicating non-ST-segment-elevation acute coronary syndromes. Circulation. 2012 Jul 3;126(1):41–9. 
  5. Kalarus Z, Svendsen JH, Capodanno D, Dan G-A, De Maria E, Gorenek B, et al. Cardiac arrhythmias in the emergency settings of acute coronary syndrome and revascularization: an European Heart Rhythm Association (EHRA) consensus document, endorsed by the European Association of Percutaneous Cardiovascular Interventions (EAPCI), and European Acute Cardiovascular Care Association (ACCA). EP Europace. 2019 Oct 1;21(10):1603–4. 
  6. Ibanez B, James S, Agewall S, Antunes MJ, Bucciarelli-Ducci C, Bueno H, et al. 2017 ESC Guidelines for the management of acute myocardial infarction in patients presenting with ST-segment elevation: The Task Force for the management of acute myocardial infarction in patients presenting with ST-segment elevation of the European Society of Cardiology (ESC). Eur Heart J. 2018 07;39(2):119–77. 
  7. Shaw LJ, Bugiardini R, Merz CNB. Women and ischemic heart disease: evolving knowledge. J Am Coll Cardiol. 2009 Oct 20;54(17):1561–75. 
  8. Gulati M, Shaw LJ, Bairey Merz CN. Myocardial ischemia in women: lessons from the NHLBI WISE study. Clin Cardiol. 2012 Mar;35(3):141–8. 
  9. Bonarjee VVS, Rosengren A, Snapinn SM, James MK, Dickstein K, OPTIMAAL study group. Sex-based short- and long-term survival in patients following complicated myocardial infarction. Eur Heart J. 2006 Sep;27(18):2177–83. 
  10. Safdar B, Spatz ES, Dreyer RP, Beltrame JF, Lichtman JH, Spertus JA, et al. Presentation, Clinical Profile, and Prognosis of Young Patients With Myocardial Infarction With Nonobstructive Coronary Arteries (MINOCA): Results From the VIRGO Study. J Am Heart Assoc. 2018 28;7(13). 
  11. EUGenMed Cardiovascular Clinical Study Group, Regitz-Zagrosek V, Oertelt-Prigione S, Prescott E, Franconi F, Gerdts E, et al. Gender in cardiovascular diseases: impact on clinical manifestations, management, and outcomes. Eur Heart J. 2016 Jan 1;37(1):24–34.
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