Le temps d’exposition au LDL-cholestérol est un concept essentiel pour améliorer l’identification du risque cardiovasculaire et la personnalisation du traitement

 

Le temps d’exposition au LDL-cholestérol est un concept essentiel pour améliorer l’identification du risque cardiovasculaire et la personnalisation du traitement. Il peut s’évaluer par le suivi régulier du bilan lipidique (en pratique tous les 5 ans) ou par le diagnostic génétique (les formes familiales sont caractérisées par une forte élévation du LDL-cholestérol dès la naissance) ou à défaut par l’âge de début de l’hypercholestérolémie. Quand on ne peut pas évaluer de cette façon le temps d’exposition, l’évaluation de l’athérome coronaire par le score calcique et celui des artères périphériques par l’echo-doppler des troncs supra aortiques et des fémorales est une méthode indirecte très utile pour choisir le bon moment de la prescription ou pas d’une statine quand l’indication peut se discuter.

 

Le concept du temps d’exposition est essentiel pour l’ensemble des facteurs de risque

Le concept de temps d’exposition aux facteurs de risque cardiovasculaires est utilisé pour l’exposition au tabac avec une évaluation en paquets-année correspondant au produit du nombre de paquet de cigarettes fumées chaque jour par la durée en année. Ce calcul est habituellement simple car les patients connaissent leur consommation et sa chronologie. Le concept est utilisé pour le diabète. La durée supérieure à 10 ans fait basculer le diabète dans une catégorie de plus haut risque dans les recommandations de 20211 . Enfin le concept est aussi valide pour la durée d’exposition au surpoids/obésité évalué par l’IMC (index de masse corporelle). Cette relation a été analysée au cours du suivi prospectif de 37 674 jeunes de 17 ans pendant une moyenne de 17,4 ans. Au total 327 accidents coronaires sont survenus. L’analyse ajustée sur les facteurs suivant : âge, histoire familiale, pression artérielle systolique, facteurs biologiques et style de vie montre une forte relation entre l’IMC et le risque. La durée d’exposition est attestée par l’évaluation du poids pendant l’adolescence et à l’âge adulte. Les sujets qui sont dans le quartile supérieur à la fois dans l’adolescence et à l’âge adulte ont un risque relatif d’accident coronaire de 9 alors que ceux qui sont uniquement dans le quartile le plus élevé à l’âge adulte ont un risque relatif de 3 (Tableau 1)2 . 

Pour le LDL-cholestérol ce concept est peu utilisé en pratique et cette non-utilisation est responsable de sur- et sous-prescription de traitement.

 

 

Le temps d’exposition au LDL-cholestérol : les données

L’exposition au LDL-cholestérol peut se mesurer en multipliant le LDL-cholestérol moyen par le nombre d’années d’exposition. Un sujet qui a un LDL-cholestérol moyen de 1,25 g/l par litre pendant 40 ans a donc un LDL-an de 50 grammes.  

Dans le tableau 2, ce seuil correspond à un risque d’infarctus du myocarde de 1%. Il est simple de calculer qu’un sujet qui a un LDL-cholestérol de 0,80 g/l atteindra ce seuil à 62,5 ans. A l’inverse un sujet qui a 2,20 g/l de LDL correspondant à la moyenne du LDL-cholestérol dans l’hypercholestérolémie familiale attend ce seuil à 22,7 ans3 .  

 

 

Le tableau 3 montre l’âge moyen de l’accident coronaire en fonction de 3 niveaux de LDL-cholestérol depuis la naissance. Il n’existe pas de seuil au-delà duquel le risque augmente car la relation est continue. 

 

 

Elle est illustrée par une étude récente (Tableau 4)4 .  

 

 

 

Il n’existe pas de seuil de cumul d’exposition justifiant un traitement par statine dans les recommandations. En effet la méthode choisie par simplicité est celle du niveau de LDL-cholestérol mesuré une fois. Ceci est aussi justifié par le fait que la décision dépend des autres facteurs de risque. Il n’est donc pas possible d’utiliser le LDL-an pour le choix thérapeutique. Cela permet toutefois de différentier les hypercholestérolémies qui débutent tôt et celles qui débutent plus tard (par exemple à la ménopause). De façon simple, il apparaît toutefois qu’une exposition correspondant à 80 grammes est associée à un risque cumulatif d’infarctus élevé. Un tel seuil n’est jamais atteint pour un sujet dont le LDL-cholestérol est à 0,80 g/l. Il est atteint à l’âge de 50 ans pour un LDL de 1,60 g/l. Un tel sujet est à haut risque par le calcule SCORE des recommandations de 2021 et justifie un traitement par statine. Le LDL cumulé a été associé non seulement au risque coronaire mais aussi au risque d’accident vasculaire cérébral et d’artérite symptomatique5, 6.

 

Le premier corolaire de l’importance du LDL-an est la nécessité de dépister jeune.

Il existe un certain flou dans de nombreuses recommandations sur l’âge idéal pour évaluer les facteurs de risque pour la première fois. Un dosage chez un adulte jeune du LDL-cholestérol est essentiel pour évaluer le temps d’exposition, dépister une forme familiale et donner des recommandations diététiques (avec la correction des autres facteurs de risque) en cas de valeur limite. Un dépistage qui débuterait à 50 ans est une perte de chance potentielle. Ce dépistage est encore plus important en cas d’histoire familiale d’hypercholestérolémie ou de maladie cardiovasculaire précoce. 

 

Le deuxième corolaire est la nécessité de diagnostiquer les formes familiales.

La démonstration la plus éclatante de ce rôle du temps d’exposition vient d’une forme particulière d’hypercholestérolémie, appelée hypercholestérolémie familiale. Il s’agit d’une forme monogénique caractérisée par une élévation du LDL-cholestérol dès la naissance. Le diagnostic permet donc d’identifier facilement ces patients qui auront un LDL-an rapidement très élevé. Le terme familial est possiblement à l’origine de confusion dans la mesure où les patients présentant une hypercholestérolémie polygénique peuvent avoir des antécédents familiaux d’hypercholestérolémie. Dans ce cas de forme monogénique, les études ont montré que le risque de faire un accident cardiovasculaire est multiplié par 13 chez les jeunes adultes ayant la forme hétérozygote7 . Nous avons récemment modélisé l’évaluation du risque en estimant le pourcentage de sujets qui fera au cours de leur vie un accident cardiovasculaire. Il est proche de 100% en prévention primaire8 . Dans cette pathologie on voit donc que les statines vont avoir un bénéfice considérable. Aucun autre facteur de risque et même d’association de facteurs de risque n’atteint un tel niveau de sur-risque. Inversement des sujets ayant une baisse génétique du LDL-cholestérol présentent moins d’accidents cardiovasculaires. Les grandes études dites Genome Wide Association Study confirment que tous les polymorphismes fonctionnels associés à des modifications du LDL-cholestérol entrainent de façon parallèle une modification du risque vasculaire.

Son diagnostic repose sur 3 caractéristiques fondamentales :  

  • Une élévation du LDL-cholestérol. Dans la forme familiale le niveau de cholestérol dans le sang est en moyenne le double de la normale. Dans les autres formes (parfois appelées polygéniques), le niveau est le plus souvent plus bas que dans la forme familiale. Un français sur 300 a une hypercholestérolémie familiale alors qu’on peut considérer qu’au moins un tiers des français a une hypercholestérolémie polygénique (mélange de prédisposition génétique, de diététique non adaptée ou parfois de surpoids et sédentarité).
  • Des antécédents familiaux compatibles avec une forme autosomique dominante. On retrouve fréquemment la notion de maladie cardiovasculaire précoce.  
  • Des signes cliniques. Les dépôts extravasculaires de cholestérol sont fréquents et comprennent l’arc cornéen (évoque une hypercholestérolémie familiale quand il est présent avant 45 ans), le xanthélasma, les xanthomes tendineux. Ils sont le plus souvent visibles et palpables sur les tendons d’Achille et sur les tendons extenseurs des doigts de la main. Les xanthomes tendineux sont pratiquement pathognomoniques de forme familiale.

Le diagnostic qui peut être porté sur un score clinique et biologique (échelle développée en Hollande, Tableau 5) 7 peut aussi être fait ou confirmé par l’analyse génétique. 

 

Le troisième corolaire est la possibilité de mieux cibler la prescription des statines.

Plusieurs études démontrent le lien très fort entre LDL-an et risque cardiovasculaire9, 10. Les médecins dans leur grande majorité sont convaincus de l’efficacité des statines. Le niveau de preuve de leur bénéfice cardiovasculaire est en effet exceptionnellement élevé. Il existe par contre un débat sur la taille et le choix de la population à traiter avec deux attitudes possibles : une prescription systématique par exemple chez tous les sujets de plus de 50 ans et une prescription ciblée et personnalisée. Le bénéfice a été revu en détail dans trois articles récents. Ces revues complètes résument les données qui ont permis d’établir le lien de causalité entre LDL-cholestérol et maladie cardiovasculaire ainsi que les bénéfices et les risques des traitements hypolipidémiants qui sont directement proportionnels au risque cardiovasculaire. Ces deux notions fondamentales sont la base de la personnalisation du traitement dont l’objectif est de traiter ceux qui vont avoir un bénéfice qui excède significativement les inconvénients du traitement. Trois paramètres déterminent le niveau du bénéfice : le niveau initial du LDLcholestérol, la baisse du LDL-cholestérol sous traitement et le niveau de risque cardiovasculaire initial. Le LDL-an est clé  dans la détermination du risque. En pratique une femme ménopausée qui a eu toute sa vie un LDL-cholestérol normal et présente une augmentation à la ménopause a un surrisque à 10 ans faible.

 

Conclusion

Le temps d’exposition est fondamental pour différentier les patients qui ont un temps d’exposition prolongé de ceux qui développent tardivement l’élévation du LDL-cholestérol. Le temps d’exposition s’évalue par le suivi régulier du bilan lipidique (en pratique tous les 5 ans) ou par le diagnostic génétique (les formes familiales sont caractérisées par une forte élévation du LDL-cholestérol dès la naissance) ou par l’âge de début de l’hypercholestérolémie et à défaut par l’évaluation par le score calcique d’Agatson de l’athérome coronaire infraclinique. Cette dernière évaluation sort du domaine de ce manuscrit mais est une approche importante pour aider à stratifier le risque. La notion que les statines devraient être prescrites à tous à partir d’un certain âge est une vision épidémiologique de la médecine. Elle est purement économique. Cette approche économique ne peut pas être considérée comme une approche médicale respectant la recherche du bien-être maximum des patients en tant qu’individu. Elle est une dérive caricaturale de la vision purement « evidence-based » de la médecine et de la prévention. Elle refuse à chacun le libre arbitre indispensable à une bonne prise en charge de la maladie chronique.  

 

Le Pr Eric Bruckert déclare avoir mené des travaux de recherche ou participé à des activités de conseils avec les laboratoires MSD, Astra Zeneca, Ionis-pharmaceuticals, AMGEN, Aegerion/Amryt, Sanofi -Aventis-Regeneron, Danone, Pfi zer, GENFIT, AKCEA et Servier

Eric Bruckert, Service Endocrinologie métabolisme et prévention cardiovasculaire, Institut E3M et IHU cardiométabolique, Sorbonne Université et Hôpital Pitié Salpêtrière (Paris)

 

RÉFÉRENCES 

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