La parmentière, 1ère partie

Antoine-Augustin Parmentier est un personnage incontournable de l’histoire de l’alimentation en France. Parfois loué à l’excès comme « inventeur de la pomme de terre » par son contemporain le comte François de Neufchâteau, ministre académicien et agronome, qui proposa le nom de parmentière pour désigner le tubercule, parfois réduit au rôle d’un brillant propagandiste, Parmentier est passé à la postérité comme un savant du siècle des lumières qui traversa la période troublée de la révolution et de l’empire pour être reconnu comme un bienfaiteur de l’humanité.

Beau parcours que celui d’Antoine-Augustin Parmentier, ce Picard né à Montdidier, dans la Somme, le 12 août 1737. Orphelin de père dans la petite enfance, éduqué par sa mère et le curé de la paroisse, il est placé en tant que commis dans une pharmacie pour un apprentissage qui devait guider toute sa vie. Afin de subvenir à ses besoins et poursuivre sa formation de pharmacien chimiste, il s’engage à 20 ans dans l’armée du Roi Louis XV ; il participera à la guerre de sept ans contre Frédéric II (1756-1763). Se distinguant par sa bravoure, il fut fait prisonnier en Prusse, dans la région de Hanovre. La guerre de sept ans achevée, il reprend ses études et obtient en 1766 le titre d’Apothicaire à l’Hôtel Royal des Invalides.

Tout en poursuivant son avancement dans la carrière militaire à l’hôpital des Invalides, il conduit des recherches sur la pomme de terre dont il avait apprécié les qualités nutritives en tant que prisonnier de guerre. Les années 1779 à 1781 le voit participer la Guerre de l’Indépendance Américaine (1775-1783).

Son quotidien assuré par les revenus de sa fonction et géré par sa sœur, veuve dévouée, il se livra à sa passion obsédante pour son métier et ses travaux. Au faîte des honneurs, il mourut de la tuberculose à Paris le 17 décembre 1813 et est inhumé au cimetière du Père Lachaise.

La rencontre de Parmentier avec la pomme de terre tient compte à la fois du hasard et de la nécessité : le hasard de son séjour en prison durant la guerre et la nécessité affirmée par les autorités publiques de rechercher un aliment en cas de disette.

La famine sévissant en France en 1769-1770 motive l’académie de pharmacie de Besançon à proposer au concours le sujet : « Quels sont les végétaux qui pourraient être substitués en cas de disette et quelle devrait en être la préparation ?” En 1772, Parmentier remporte le concours avec sa recette de « pain aux pommes de terre » dont l’idée était de promouvoir la fécule de pomme de terre en remplacement du blé pour confectionner le pain. Le Chevalier François Mustel, agronome rouennais, l’accusera, peut-être non sans raison, de s’être inspiré de son « Mémoire sur les pommes de terre et un pain économique » publié en 1767 … mais Parmentier ne lui en tint pas rigueur en le désignant « Premier apôtre de la pomme de terre ».

Parmentier avait fait l’expérience d’être nourri exclusivement de bouillie de pomme de terre lors de son premier séjour en prison pendant la guerre de sept ans sans altérer sa santé, ce qui validait la pertinence de son mémoire. “Nos soldats ont considérablement mangé de pommes de terre dans la dernière guerre ; ils en ont même fait excès, sans avoir été incommodés ; elles ont été ma seule ressource pendant plus de quinze jours et je n’en fus ni fatigué, ni indisposé.”

Son rôle pourrait paraître exagéré comme le suggère Bertrand Dumont qui écrit « cet apothicaire aux armées, un peu botaniste, est plutôt un génial publicitaire, rien de plus » jugement sans nul doute un peu sévère pour ce très populaire et désintéressé pharmacien philanthrope mais qui rend hommage à son obstination et sa persévérance pour faire reconnaître ce précieux tubercule mal considéré dans la France de cette époque. Il existait même une interdiction, en vigueur depuis 1748, de cultiver cette solanacée, proche de la mandragore et de la belladone, parfois jugée responsable de la diffusion de maladies dont la lèpre, la peste, les écrouelles….

L’historien Anthony Rowley (Concordance des temps, 2008) rappelait les superstitions qui entouraient cet aliment encore méprisé : “Une des raisons pour laquelle la pomme de terre est très mal accueillie en Europe, comme la tomate, c’est qu’on lui attribue tout un stock d’inconvénients majeurs. D’abord sa ressemblance avec la truffe. Le gascon utilise le même mot, truaut pour la pomme de terre et la truffe. Or la truffe est un champignon terrifiant. Il pousse sous terre, il est sensible aux variations et aux cycles lunaires : c’est-à-dire que c’est un champignon du diable, lié à la mort. Et la pomme de terre, on l’accuse de répandre la peste. Comme ce légume est mal considéré, on le donne à un animal transformateur par excellence, dévalorisé socialement : le cochon.”

Dans L’Homme qui rit, Victor Hugo, rapportant la perception des pommes de terre à cette époque écrit : ” les pommes de terre, immondices dont on nourrissait alors les pourceaux et les forçats”.

Du temps de Parmentier, la pomme de terre était déjà devenue la nourriture des pauvres ; son mémoire reçut un accueil favorable de la part de Condorcet, Buff on et Turgot et contribua à la réhabiliter et à lever les interdictions de sa culture. Voltaire l’en félicita vivement et s’en trouva conforté pour nourrir ses paysans de Ferney sans toutefois la consommer lui-même en raison de son âge. Mgr de la Marche, évêque de Bretagne, relaiera du haut de sa chaire l’exhortation aux paysans du Léon de s’en nourrir pour donner les forces nécessaires à leurs labeurs.

La pomme de terre est alors surtout connue pour soigner eczéma, brûlures et calculs rénaux et tardera à devenir un aliment de base en France.

Usant des relations qu’il a su convaincre à sa cause, Parmentier parvient, en 1785, à rencontrer Louis XVI, informé de ses recherches, qui ornera sa boutonnière d’une fleur de pomme de terre et en piquera une également dans la coiffure de la Reine contribuant à une meilleure considération du tubercule.

Privé de son champ d’expérimentation des Invalides à la suite de conflits administratifs, il obtiendra du Roi la mise à disposition d’un terrain de 2 hectares, champ de manœuvres, réputé peu fertile, sur un espace situé à quelques kilomètres de la capitale, entre Neuilly et Ternes, sur la plaine des Sablons. Il y expérimentera la culture en ligne, utilisée en Allemagne qui en augmente la productivité.

Sa ruse est demeurée célèbre de le faire garder le jour par la garde royale et de laisser les gens du voisinage dérober les tubercules la nuit comme des biens précieux et se familiariser à leur consommation. En hommage à Benjamin Franklin, très populaire dans le Paris de cette époque, il nomma « Belle de New York » l’espèce cultivée aux Sablons ; de quoi aiguiser notre nostalgie quand on se souvient que le président Bush avait débaptisé les French Fries pour les appeler frites de la Liberté lors du conflit en Irak.

Le 29 octobre 1778, il enfourne le pain à base de farine de pommes de terre devant ses invités qui l’apprécieront à la table du gouverneur des Invalides. Présenté par le Journal de Paris comme « la découverte la plus importante du siècle », il préfigure la publication du traité « Le parfait boulanger ou traité complet sur la fabrication et le commerce du pain ». Parmentier multiplie les articles de vulgarisation. En 1781, il complète une thèse sous le titre « Recherches sur les végétaux nourrissants qui, dans les temps de disette, peuvent remplacer les aliments ordinaires, avec de nouvelles observations sur la culture des pommes de terre » et en 1789 suivra un Traité sur « la culture et les usages des pommes de terre » qui le popularisera auprès des agriculteurs.

Parallèlement il s’attacha à convaincre des hommes d’influence de l’époque. Le dîner du 21 octobre 1787 reçoit des hôtes prestigieux : le chimiste Antoine Lavoisier, l’agronome Arthur Young, le diplomate américain Benjamin Franklin, Le grainetier Philippe de Vilmorin et d’autres scientifiques à qui il fait servir vingt plats différents à base de «parmentière».

Dans l’Italie voisine, le physicien Alessandro Volta (1745- 1827) s’attacha pareillement à promouvoir la culture de la pomme de terre et serait à l’origine de la confection des gnocchis.

Plus que son mémoire, c’est sa volonté obstinée à faire connaitre la pomme de terre auprès des élites comme auprès des plus pauvres qui lui apportera reconnaissance et distinction.

La compétence scientifique reconnue de Parmentier s’étend bien au-delà de ses travaux sur la pomme de terre. C’est un nutritionniste et un hygiéniste qui va étudier avec le même enthousiasme les qualités nutritives de la châtaigne et du maïs et se préoccuper d’améliorer la composition des soupes destinées aux pauvres. Il s’intéresse à la conservation des farines, du vin et des produits laitiers.

Dans le domaine de la santé, il œuvre à l’amélioration de la salubrité de l’air et de l’eau dans les hôpitaux civils et militaires, et s’intéresse à la conservation par le froid, la réfrigération des viandes et aux travaux d’Apert sur la chaleur.

Il fonde avec Cadet de Vaux en 1780 une école de boulangerie rue de la Grande-Truanderie à Paris.

En 1793, face à la pénurie de canne à sucre, il propose d’utiliser le sirop de raisins et d’extraire le sucre des végétaux, de la betterave notamment. La première raffinerie de sucre de betterave mise en service par Delessert en 1801 s’inspirera de ses travaux.

En 1796, il est porté sur la liste de l’Institut, formé par le nouveau Directoire.

Parmentier créa aussi la Société de Pharmacie de Paris dont Il devient le premier président en 1803. Inspecteur général du Service de santé sous Napoléon, il impose l’obligation de la vaccination contre la variole.

Écrivain prolifique, il vulgarise ses idées dans près d’une centaine de livres et de mémoires rédigés de 1773 à 1813.

Peu soucieux des honneurs mais attaché à ses promotions militaires, il s’attira les louanges des philosophes des lumières, du roi Louis XVI, des révolutionnaires et de l’Empereur Napoléon Ier.

« La France vous remerciera un jour d’avoir trouvé le pain des pauvres » le complimenta Louis XVI.

Le Comité de Salut Public et l’Assemblée Nationale lui confièrent des missions dans le cadre de l’agriculture, l’hygiène ou le secours aux pauvres. Il siège aussi à la commission chargée de créer le calendrier républicain. Reconnu bienfaiteur à la révolution par la convention,
il ne dut qu’à un déplacement fortuit à Marseille d’échapper aux purges de la terreur. Dans les temps plus calmes qui succédèrent, il regagna les faveurs du Directoire puis de Napoléon. Membre de l’Institut depuis 1795 et de nombreuses académies européennes, l’empereur le nomma, en 1800, premier pharmacien des armées puis Inspecteur général du Service de Santé de 1805 à 1813 participant à la création du service de santé des armées.

Conclusion

Le nom de Parmentier et celui de la pomme de terre sont devenus indissociables. Si le nom de «parmentière»
ne s’imposa pas pour désigner le tubercule des incas, le hachis parmentier pérennise son nom chez les cuisiniers.

Pharmacien militaire, nutritionniste, hygiéniste, infatigable expérimentateur, philanthrope, Parmentier apparaît comme un précurseur de la chimie alimentaire.

Laissons-lui la conclusion : « Mes recherches n’ont d’autre but que le progrès de l’art et le bien général. La nourriture du peuple est ma sollicitude ; mon vœu, c’est d’en améliorer la qualité et d’en diminuer le prix. »

Jacques Gauthier, Cannes

Bibliographie

– Étonnantes histoires de légumes et de fines herbes ; Bertrand Dumont ; éditions Multi Mondes
– Histoire naturelle et morale de la nourriture ; Marguerite Toussaint-Samat ; In Extenso éditions Larousse
– Petite et grande histoire des légumes ; Éric Birlouez ; éditions Quae
– 2000 ans d’histoire gourmande ; Patrice Gélinet ; éditions Perrin
– Histoire à la casserole ; Henri Pigaillem ; éditions Télémaque
– Les petits plats dans les grands ; Henriett e Walter ; éditions Robert Laffont
– L’Homnivore ; Claude Fischler ; éditions Odile Jacob essais
– Une histoire mondiale de la table ; Antony Rowley ; éditions Odile Jacob
– Anne Muratori-Philip ; discours à l’Institut de France.
– Wikipédia : articles dédiés

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