Étude CAMAREC : l’IRM cardiaque remplacerat-elle la coronarographie devant une dysfonction ventriculaire gauche inexpliquée ?
Le Congrès Mondial de l’European Society of Cardiology (ESC), qui s’est déroulé à Amsterdam cette année, nous a offert les résultats attendus sur la place de l’IRM cardiaque de repos par rapport à l’angiographie invasive pour rechercher l’étiologie ischémique de patients à fraction d’éjection du ventricule gauche (FEVG) réduite sans raison évidente.
Introduction
L’altération de la FEVG est une problématique rencontrée chez 3 à 7% de la population, représentant un enjeu majeur de santé publique. L’insuffisance cardiaque, dont le pronostic peut s’avérer aussi grave que certains cancers, nécessite une identification précise de son étiologie pour une prise en charge adéquate. Bien que la maladie coronaire soit la cause prédominante, les 3/4 des angiographies invasives réalisées pour établir cette étiologie, ne montrent pas de lésion significative. Ainsi, l’intérêt d’une angiographie systématique peut être remise en question chez ces patients, par son caractère invasif et couteux.
C’est dans ce contexte que l’IRM cardiaque, grâce à sa capacité à détecter l’infarctus du myocarde à travers la cicatrice myocardique, a été évoquée comme une solution alternative à l’angiographie systématique. En effet, des études antérieures suggèrent que l’IRM cardiaque est une stratégie diagnostique non invasive efficace et économique pour détecter une sténose
coronaire obstructive1,2. Une étude préliminaire réalisée de manière rétrospective sur un échantillon de 305 patients a confirmé ces résultats, avec une réduction notable des angiographies et des économies conséquentes en termes de jours d’hospitalisation3. Ces résultats devaient être confirmés par une étude prospective multicentrique, l’étude CAMAREC, menée par Dr Louis-Marie Desroche du CHU de la Réunion (Saint-Denis, France).
Objectif de l’étude
Montrer que l’IRM cardiaque peut être un examen diagnostique de première ligne pour détecter une coronaropathie obstructive devant une FEVG altérée d’origine inexpliquée.
Critères d’inclusion et d’exclusion
Inclusion consécutive de tous les patients présentant une FEVG altérée < 45% sans étiologie évidente (d’origine valvulaire, rythmique etc.).
De plus, les patients présentant les critères suivants étaient exclus : maladie coronaire connue, symptomatologie angineuse, contre-indication à la coronarographie ou à l’IRM (allergie au gadolinium nécessaire à la séquence de rehaussement tardif permettant de détecter la séquelle d’infarctus).
Plan de l’étude
Étude multicentrique observationnelle dans laquelle tous les patients bénéficiaient d’une IRM cardiaque de repos, suivie d’une coronarographie invasive à 14 jours d’intervalle maximum (Figure 1).
– L’IRM cardiaque était retenue positive (CMR+) pour une coronaropathie obstructive en cas de rehaussement tardif sous-endocardique ou transmural dans au moins un segment myocardique.
– La coronarographie était retenue positive (CA+) pour une coronaropathie obstructive selon les critères de Felker (une sténose >70% du tronc commun ou IVA, ou sur au moins deux vaisseaux proximaux).
Les deux examens diagnostiques étaient évalués à l’aveugle par deux comités d’experts indépendants.
Critère de jugement principal
Le critère de jugement principal était la sensibilité de l’IRM cardiaque pour détecter une lésion coronaire significative identifiée par coronarographie invasive.
Résultats
Résultats sur la population
Dans cette étude multicentrique 380 patients ont été inclus à partir d’une population éligible de 415 patients se présentant FEVG altérée sans étiologie évidente entre 2018 et 2021. La population étudiée présentait un âge médian de 63 ans avec 70% de femmes, 22% de diabétiques.
La FEVG médiane de cette population était de 28%.
Parmi ces 380 patients, 49 (13%) avaient une cardiopathie obstructive détectée par coronarographie invasive (CA+).
Résultats sur le critère principal
La sensibilité de l’IRM cardiaque dans cette étude pour le diagnostic de coronaropathie significative était de
57% (intervalle de confiance à 95% = 43-71) (Figure 2). La spécificité était de 76%, la valeur prédictive positive
de 26% et la valeur prédictive négative de 92%.
Résultats sur les critères secondaires
La stratégie « CMR-first » (IRM cardiaque en première ligne diagnostique) aurait permis d’éviter une coronarographie invasive à 72% des patients en montrant une absence de rehaussement tardif, traduisant l’absence de séquelle d’infarctus du myocarde. L’impact médico-économique de cette stratégie a été évaluée en France à environ 400 € par patient. Cependant, cette stratégie « CMR-first » n’aurait pas permis de détecter la coronaropathie obstructive présente chez 6% des patients, qui n’auraient donc pas été revascularisés.
Est-ce que l’IRM cardiaque a été inutile pour autant ?
La réponse est non avec un nombre conséquent de potentiels MINOCA (infarctus du myocarde à coronaires saines) et de cardiomyopathies détectées (Figure 3). Des thrombus du VG non détectés à l’échocardiographie ont également été identifiés. Pour finir, l’IRM cardiaque a également permis d’évaluer la non-viabilité du myocarde et d’éviter la revascularisation inutile de 2 lésions.
Discussion
Les résultats de cette étude indiquent que l’IRM cardiaque n’est pas un outil diagnostique performant de première ligne pour détecter une coronaropathie obstructive chez des patients avec FEVG altérée sans étiologie évidente.
Ce résultat contraste avec les études précédentes et les recommandations récentes des sociétés savantes telle que l’ESC pour qui l’IRM cardiaque est indiquée pour l’identification de l’étiologie ischémique ou nonischémique d’une insuffisance cardiaque4.
Il est important de rappeler qu’une lésion coronaire significative ne cause pas toujours une nécrose tissulaire, notamment si l’artère coronaire n’est pas totalement occluse. La dysfonction ventriculaire gauche est alors expliquée par le phénomène d’hibernation myocardique, réversible par restauration du flux sanguin. Dans ce cas, en l’absence d’infarctus, l’IRM cardiaque de repos sera retenue négative, puisque pas de rehaussement tardif.
De ce fait, on pourrait se demander quels auraient été les résultats de cette étude en remplaçant l’IRM cardiaque de repos par une IRM cardiaque de stress. En effet, l’IRM cardiaque de stress apparait depuis plusieurs années comme l’un des tests de stress fonctionnel les plus performants avec une excellente corrélation avec la FFR dans l’évaluation de la sévérité d’une lésion coronaire, et cela de façon supérieure aux autres tests d’ischémie (scintigraphie et échocardiographie d’effort)5.
Conclusion
Dans cette étude observationnelle prospective multicentrique française, l’IRM cardiaque de repos a montré une faible sensibilité à la détection de coronaropathie obstructive chez des patients à FEVG réduite sans étiologie évidente. Si l’IRM cardiaque reste un outil diagnostique performant avec une large étendue d’applications, elle ne semble pas pouvoir remplacer la coronarographie invasive en première ligne pour cette indication.
1. Soriano CJ, Ridocci F, Estornell J, Jimenez J, Martinez V, De Velasco JA. Noninvasive diagnosis of coronary artery disease in patients with heart failure and systolic dysfunction of uncertain etiology, using late gadolinium-enhanced cardiovascular magnetic resonance. J Am Coll Cardiol. mars 2005;45(5):743-8.
2. Assomull RG, Shakespeare C, Kalra PR, Lloyd G, Gulati A, Strange J, et al. Role of Cardiovascular Magnetic Resonance as a Gatekeeper to Invasive Coronary Angiography in Patients Presenting With Heart Failure of Unknown Etiology. Circulation. 20 sept 2011;124(12):1351-60.
3. Desroche LM, Milleron O, Safar B, Ou P, Garbarz E, Lavie-Badie Y, et al. Cardiovascular Magnetic Resonance May Avoid Unnecessary Coronary Angiography in Patients With Unexplained Left Ventricular Systolic Dysfunction: A Retrospective Diagnostic Pilot Study. J Card Fail. déc 2020;26(12):1067-74.
4. McDonagh TA, Metra M, Adamo M, Gardner RS, Baumbach A, Böhm M, et al. 2021 ESC Guidelines for the diagnosis and treatment of acute and chronic heart failure. Eur Heart J. 21 sept 2021;42(36):3599-726.
5. Danad I, Szymonifka J, Twisk JWR, Norgaard BL, Zarins CK, Knaapen P, et al. Diagnostic performance of cardiac imaging methods to diagnose ischaemiacausing coronary artery disease when directly compared with fractional flow reserve as a reference standard: a meta-analysis. Eur Heart J. 2 mai 2016;ehw095.