Jean-Claude Deharo, Service de Cardiologie Hôpital La Timone – Marseille
Centre Cardio-vasculaire et Nutrition, INSERM, INRA, Aix Marseille Université
Ces recommandations, publiées en 2018 dans l’European Heart Journal 1 ont été présentées pour la première fois au congrès de l’European Heart Rhythm Association (EHRA) en mars 2018 à Barcelone puis de nouveau au congrès de l’European Society of Cardiology (ESC) au mois de septembre 2018 à Munich. Il s’agit d’une nouvelle édition, et non d’une mise à jour, de recommandations qui avaient été publiées pour la dernière fois en 2009. Le groupe d’experts comporte des représentants de nombreuses disciplines : cardiologues, mais également urgentistes, gériatres, neurologues, internistes, spécialistes du système nerveux autonome, et infirmières de pratique avancée. Les 113 recommandations de ce document s’appuient beaucoup plus souvent sur un consensus d’experts (50 % des recommandations) que sur des preuves issues d’études randomisées (5 % des recommandations). Nous insisterons ici sur les aspects les plus nouveaux de ces recommandations qui portent essentiellement sur les tests diagnostiques, la prise en charge en service d’urgence, les unités de syncope, et le traitement des syncopes réflexes.
Les examens diagnostiques
L’intérêt diagnostique du test d’inclinaison est maintenant discuté : en effet, comme cela apparaît à la figure 1, s’il a un fort taux de positivité chez les patients ayant une très forte probabilité a priori de syncope réflexe typique, il est positif chez 45-55% des patients ayant une probabilité de syncope réflexe atypique, de syncope cardiaque ou rythmique et chez 30 à 35% de ceux ayant des syncopes inexpliquées. Sa valeur discriminante est donc faible dans les situations où il serait le plus utile. De ce fait, le test d’inclinaison n’est recommandé, en classe IIa, qu’en cas de suspicion de syncope réflexe. Il a une recommandation de classe IIb pour son utilisation à visée éducative. Les critères de positivité du test n’ont pas été modifiés, il s’agit de la reproduction des symptômes avec analyse du profil hémodynamique au moment de la positivité. Concernant les autres tests diagnostiques, les moniteurs ECG implantables ont maintenant une place de choix, avec une recommandation de classe I chez les patients à faible risque, présentant des syncopes probablement rythmiques, récidivantes. Ils sont recommandés en classe IIa, dans le but d’orienter le traitement, chez les patients ayant un faible risque et une syncope probablement réflexe, invalidante. D’autres formes de monitoring de l’électrocardiogramme sont proposées selon la situation : la télémétrie hospitalière chez les patients à haut risque et à forte probabilité de syncope rythmique, les moniteurs externes en cas de symptômes assez fréquents et le Holter en cas de symptômes très fréquents.
La classe IIb est retenue pour l’utilisation des moniteurs implantables pour le diagnostic différentiel de troubles de la conscience non syncopaux. De façon nouvelle, les moniteurs ECG sont recommandés chez les patients ayant des cardiopathies à haut risque rythmique, une fois qu’une évaluation complète a permis d’éliminer un risque rythmique grave : dans les cardiopathies avec dysfonction systolique ventriculaire gauche (classe IIb) quand le défibrillateur n’est pas indiqué sur les critères de fraction d’éjection, dans les cardiomyopathies hypertrophiques, la dysplasie arythmogène du ventricule droit, le syndrome du QT long congénital, ou le syndrome de Brugada. Dans ces derniers cas, il s’agit d’une recommandation de classe IIa. L’enregistrement de vidéos à l’aide des smartphones est encouragé (classe IIa), à l’instar de ce qui est recommandé dans le diagnostic de l’épilepsie. On espère ainsi mieux appréhender la sémiologie de certains troubles de la conscience inexpliqués, notamment les pseudo-syncope psychogènes. L’exploration électrophysiologique conserve une place très limitée dans le diagnostic des syncopes. Elle n’est recommandée que lorsque les explorations non invasives n’ont pas permis un diagnostic. Dans ce cas, elle doit se limiter aux patients ayant une cardiopathie potentiellement responsable de cicatrice arythmogène (classe I), à ceux ayant un bloc bifasciculaire (classe IIa) et, à un moindre degré, à certaines dysfonctions sinusales ou lorsque des palpitations ont accompagné la syncope (classe IIb)
La prise en charge en urgence
Elle est basée sur l’évaluation initiale du risque (Figure 2). Les patients à bas risque pourront quitter les urgences et seront éventuellement revus en unité de syncope ambulatoire si nécessaire ; les patients à haut risque ne doivent pas quitter l’hôpital, ils doivent être admis en hospitalisation conventionnelle pour évaluation diagnostique et traitement éventuel mais peuvent aussi être orientés vers une unité de surveillance intrahopistalière qui permettra, au terme d’un séjour très bref, de les orienter soit vers l’admission soit vers une unité de syncope ambulatoire où ils seront reçus rapidement. Les patients n’ayant pas les caractéristiques du bas risque, ni celles du haut risque peuvent être évalués en unité hospitalière spécialisée, afin de pouvoir être orientés en quelques heures vers une unité de syncope ambulatoire ou une hospitalisation. Bien sûr, ces recommandations ne sont pas directement applicables au système de soins français car il n’existe pas d’unités de surveillance hospitalière de courte durée telle que celles décrites dans ces recommandations, et qui sont issues du modèle anglo-saxon. Néanmoins, c’est au prix d’organisations de ce type que le nombre d’hospitalisations pourra être réduit en toute sécurité.
Les unités de syncope
Cette nouvelle version des recommandations insiste à nouveau sur la nécessité de développer ce type de structures dans le but d’une meilleure efficience
diagnostique et thérapeutique, mais aussi pour limiter le nombre d’hospitalisations qui est beaucoup trop élevé encore. Les caractéristiques, en termes d’infrastructure et de personnel reprennent les éléments d’un document de consensus récemment publié par l’EHRA. Le rôle des différents personnels est précisé de façon très détaillée. À l’heure où le métier d’infirmière de pratique avancée se développe dans notre pays, ces recommandations prennent toute leur importance pour l’organisation de ce type d’unités. Des indicateurs de qualité sont également proposés, ils concernent le nombre de patients hospitalisés à partir de l’unité, le nombre de patients vus en « fast-track », le nombre de diagnostic effectués… Ils pourront servir de base de discussion avec l’administration hospitalière ou les tutelles pour justifier l’ouverture de ce type d’unités.
Traitement des syncopes réflexes
Les auteurs ont intégré ici, à la fois la faible efficacité des traitements médicamenteux, l’intérêt de la documentation de la cardio-inhibition, ainsi que la nécessité de prendre en compte l’âge des patients (Figure 3). Tout d’abord il est rappelé que la très vaste majorité des patients présentant ce type de syncope relèvent uniquement de l’éducation thérapeutique et de la réassurance. En effet, le groupe contrôle des études randomisées évaluant le traitement des syncopes réflexes a bien montré que, en l’absence de traitement, le taux de récidive diminue d’au moins 50 % à 2 ans. C’est l’effet de l’éducation et de la réassurance. Notons ici la richesse de l’annexe au manuscrit de ces recommandations qui permet de disposer de modèles de documents d’information des patients sur leur pathologie, sa prise en charge immédiate et les règles à respecter pour éviter les récidives. En cas d’échec de ces mesures, ce qui correspond à une très faible proportion de patients (évaluée à environ 15 % des patients très sélectionnés adressés en unité de syncope),
ayant des épisodes fréquents, récidivants, et sans prodromes, conduisant à un risque, il est recommandé d’envisager des traitements complémentaires. Les auteurs insistent sur l’approche très différente que doivent recevoir les patients jeunes par rapport aux patients plus âgés. On privilégiera chez les patients jeunes, principalement ceux ayant une faible tension artérielle et une mauvaise tolérance à l’orthostatisme, les traitements médicamenteux favorisant la rétention hydrosodée ou vasoconstricteurs (classe IIb), ainsi que les manoeuvres physiques de contre-pression (classe IIa) ou, à un moindre degré, le « tilt-training » (classe IIb). On privilégiera chez les patients âgés ayant des syncopes sans prodromes la recherche d’une cardio-inhibition sévère qui pourrait indiquer la stimulation cardiaque (classe IIa ou IIb selon le moyen de documentation de la cardio-inhibition), ainsi que la diminution des traitements hypotenseurs (classe IIa). Cette dernière mesure est également à proposer aux patients plus jeunes, mais elle les concerne moins souvent.
Enfin, le traitement basé sur la documentation par moniteur ECG d’un épisode spontané peut-être exceptionnellement proposée aux patients jeunes très invalidés. Il est également rappelé qu’il n’y a aucune indication à la stimulation cardiaque en l’absence de bradycardie documentée (Figure 4). Les auteurs recommandent d’appliquer, pour la recherche d’une cardio-inhibition sévère, le protocole SUP II, utilisant « en série » le massage sino-carotidien, le test d’inclinaison, puis le moniteur ECG implantable (Figure 5). Le test d’inclinaison, un outil pour dévoiler une susceptibilité à la vasodépression : des données récentes de la littérature attirent l’attention sur ce possible rôle du test d’inclinaison. La positivité du test témoigne d’une susceptibilité à la vasodépression qui viendra diminuer l’efficacité de la stimulation cardiaque lorsque celle ci sera indiquée pour des syncopes réflexes. Ainsi, un patient présentant une cardio-inhibition conduisant à la pose d’un stimulateur a un risque de récidive faible en cas de test d’inclinaison négatif (de l’ordre de 5 %) et beaucoup plus élevé en cas de test positif (de l’ordre de 25 %).
En conclusion, cette dernière version des guidelines européennes sur les syncopes apporte un volume d’informations considérable permettant de guider notre pratique, mais aussi à forte valeur pédagogique. La comparaison avec les guidelines ACC/AHA/ HRS 2 parus peu de temps avant montre une bonne homogénéité des points de vue de part et d’autre de l’Atlantique.
Résumé
Il s’agit là de la quatrième édition des recommandations européennes concernant les syncopes, depuis leur première publication en 2001. Ce document très complet a été rédigé par un groupe multidisciplinaire d’experts s’étendant bien au-delà de la seule cardiologie. La stratégie diagnostique est peu modifiée : l’évaluation initiale simple a pour objectif principal de stratifier le risque, tout particulièrement lors de la prise en charge en secteur d’urgence. Dans le but de limiter le nombre d’hospitalisations et d’améliorer l’efficience diagnostique, ces recommandations insistent tout particulièrement sur la nécessité de mettre en place des unités d’observation intra-hospitalières de courte durée et des unités de syncopes ambulatoires. Parmi les méthodes diagnostiques, pour la première fois, il est recommandé d’inciter les témoins de syncopes à pratiquer des enregistrements vidéo à l’aide de leur smartphone. Les moniteurs électrocardiographiques implantables
ont maintenant leur place chez les patients atteints de cardiopathies à risque ou de canalopathies lorsque le défibrillateur n’est pas indiqué. La stratégie thérapeutique des syncopes réflexes intègre la littérature récente qui a montré la faible efficacité des traitements médicamenteux, et l’intérêt de la documentation de la cardioinhibition chez les patients les plus âgés, en vue d’indiquer la stimulation cardiaque. Enfin, le test d’inclinaison est « dégradé » pour sa valeur diagnostique mais il est maintenant présenté comme un examen permettant de dépister la tendance du patient à la vasodépression, à prendre en compte dans les choix thérapeutiques.
RÉFÉRENCES
1 – Brignole M, Moya A, de Lange F, et al. 2018 ESC guidelines for the diagnosis and management of syncope. Eur Heart J 2018 ; 39 : 1883-1948
2 – Shen WK, Shedon RS, Benditt DG, et al. 2017 ACC/AHA/HRS Guideline for the Evaluation and Management of Patients With Syncope: A Report of the American College of Cardiology/American Heart
Association Task Force on Clinical Practice Guidelines and the Heart Rhythm Society. J Am Coll Cardiol 2017 ; 70 : e39-e110