Nouvelles recommandations américaines sur la revascularisation myocardique : pontage ou angioplastie ?
10 ans exactement après la publication des recommandations américaines sur les indications de pontage aorto-coronaire et d’angioplastie percutanée1,2, voici donc les nouvelles guidelines conjointes des sociétés savantes américaines de Cardiologie (ACC/ AHA et Société Américaine de Cardiologie Interventionnelle SCAI).3
Contexte
En Europe, les dernières recommandations de l’ESC sur ce sujet datent de 2018,4 rapidement supplantées par les recommandations sur le syndrome coronaire chronique5 (en 2019) et le syndrome coronaire aigu sans sus décalage du segment ST (NSTEMI-2020)6 , les recommandations du syndrome coronaire aigu avec sus décalage du ST (STEMI) étant un tout petit peu plus anciennes (2017 précisément),7 mais globalement reprises dans les recommandations sur le NSTEMI de 2020.
Les principaux messages à retenir des recommandations européennes étaient plutôt axées sur l’intérêt du pontage aorto-coronaire chez le patient diabétique ou porteur d’une coronaropathie complexe (score SYNTAX élevé).
L’ancienneté des recommandations américaines sur la revascularisation myocardique et le syndrome coronaire aigu (dernières en date en 2014 !8 ) rendait nécessaire une actualisation des pratiques, notamment du fait des progrès en cardiologie interventionnelle (par exemple concernant l’angioplastie du tronc coronaire gauche). Ces recommandations incluent donc de manière chronologique des consignes sur la phase préangiographie coronaire, le per-procédure (matériel, voie d’abord, …), le post-traitement (interprétation de l’examen, évaluation de la sévérité des lésions), ainsi que sur les différentes stratégies de revascularisation à adapter dans le contexte aigu (NSTEMI-STEMI) ou stable et le traitement pharmacologique associé.
Considérations générales
La décision de revascularisation myocardique est basée sur le contexte clinique, indépendamment du sexe ou de l’ethnie. En effet, toutes les données montrent dorénavant que la femme doit être traitée de manière identique à l’homme, risquant dans le cas contraire une surmortalité non négligeable.
Les patients pour qui la stratégie de revascularisation est douteuse doivent être discutés en staff médicochirurgical par une Heart-Team, prenant en compte la décision du patient et la discussion pluridisciplinaire.
Pontage ou angioplastie ?
La question centrale de ces recommandations est d’adresser les bons patients aux chirurgiens cardiaques pour une revascularisation par pontage aorto-coronaire. La décision de la stratégie de revascularisation, si le pontage est envisagé, doit toujours inclure le calcul du risque chirurgical du patient avec le score de la Society of Thoracic Surgeons (STS-Score).
L’utilité du calcul du score SYNTAX dans les décisions de revascularisation est moins claire en raison de la variabilité interobservateur et de son absence de variables cliniques. La décision prise par la Heart-Team se base sur :
– L’anatomie coronaire : atteinte de l’IVA ? maladie pluritronculaire ? grande complexité anatomique (bifurcation, SYNTAX score élevé) ?
– Les facteurs per-procéduraux : voie d’abord pourl’angioplastie ? risque chirurgical vs. risque de l’angioplastie ?
– Les comorbidités : diabète ? dysfonction ventriculaire gauche ? coagulopathie, atteinte valvulaire associée ? fragilité (score STS) ? néoplasie, maladie rénale terminale, BPCO, immunosuppression, atteinte neurologique-AVC, cirrhose, aorte porcelaine, anévrysme aortique ?
– Les autres facteurs liés au patient : présentation instable ou choc ? préférence du patient ? faible adhérence à la double anti-agrégation prévisible ? intégration sociale, croyances religieuses, éducation-compréhension par le patient ?
des lésions. Cette analyse est basée sur les résultats de la coronarographie (pouvant passer par le calcul du score SYNTAX – grade de recommandation 2b) en prenant en compte les points suivants : atteinte du tronc coronaire gauche ou de l’IVA, occlusion chronique, lésion de trifurcation ou bifurcation complexe, calcifications importantes, tortuosité sévère, sténose ostiale, réseau diffusément infiltré et distalité de petit calibre, lésion thrombotique, lésion longue > 20mm. Si la lésion est angiographiquement décrite comme intermédiaire sans ischémie documentée, la sévérité peut également être déterminée par mesure de la réserve de fl ux coronaire (FFR avec un seuil de positivité < 0,80 pour la FFR et < 0,89 pour l’iFR). L’IVUS est également proposé (grade 2a) pour évaluer la sévérité des lésions intermédiaires du tronc coronaire gauche.
Enfin, la décision est prise selon la présentation clinique.
– Dans le STEMI : l’angioplastie doit être réalisée dans les 12 heures du début de la douleur, associée à l’angioplastie d’autres lésions non coupables si le patient est stable. Chez le patient stable asymptomatique avec un STEMI et une occlusion coronaire complète diagnostiquée à plus de 24 heures du début des symptômes, il ne faut pas réaliser d’angioplastie. En cas de choc cardiogénique ou d’instabilité hémodynamique, l’angioplastie de l’artère coupable (ou le pontage si l’angioplastie est impossible) est indiquée pour améliorer la survie, quel que soit le délai depuis le début de la douleur. En cas de complication mécanique associée, le pontage est recommandé pour améliorer la survie. La revascularisation par angioplastie « step by step » (pendant l’hospitalisation ou après la sortie de l’hôpital) d’une artère non coupable significativement sténosée chez les patients présentant un STEMI est recommandée chez des patients sélectionnés pour améliorer les résultats de la revascularisation. L’angioplastie d’une artère non coupable au moment de la procédure index est moins consensuelle et peut être envisagée chez les patients stables chez qui l’angioplastie de la lésion non coupable est simple avec une fonction rénale normale (en dehors de tout état de choc cardiogénique).
– Dans le NSTEMI : chez les patients à haut risque ischémique, en choc cardiogénique ou avec un angor réfractaire ou modifications électriques dynamiques, une angioplastie est nécessaire (dans le 1er cas dans les 24h, dans les 2 cas suivants en urgence). En cas de choc cardiogénique, seule la lésion coupable doit être traitée.
– Dans le syndrome coronaire chronique : en cas d’atteinte pluritronculaire avec dysfonction ventriculaire gauche, de sténose significative du tronc coronaire gauche, la revascularisation chirurgicale est indiquée pour améliorer la survie par rapport au traitement médical. L’angioplastie est une option raisonnable pour améliorer la survie vs. traitement médical chez des patients sélectionnés avec une complexité anatomique faible à modérée et revascularisable de manière équitable par angioplastie ou pontage. Chez les patients présentant une cardiopathie ischémique stable, une fraction d’éjection ventriculaire gauche normale et une coronaropathie tritronculaire, une revascularisation chirurgicale peut être proposée pour améliorer la survie (2b). Le bénéfice de l’angioplastie sur la survie est incertain. En cas de lésion de l’IVA proximale associée à une FEVG conservée, le bénéfice sur la survie de la revascularisation coronaire est incertain. En revanche, chez les patients avec un angor réfractaire sous traitement médical, la revascularisation est utile pour améliorer les symptômes.
La stratégie de revascularisation chez les patients diabétiques souffrant d’une coronaropathie pluritronculaire doit être décidée par la Heart-Team. Les patients diabétiques qui présentent une maladie tritronculaire impliquant l’IVA doivent bénéficier d’une revascularisation chirurgicale si possible ; une angioplastie peut être envisagée seulement s’ils ne sont pas de bons candidats à la chirurgie.
Notions techniques
L’abord radial est recommandé chez les patients bénéficiant d’une angioplastie (en phase aiguë ou stable), afin de réduire les saignements et les complications vasculaires par rapport à l’abord fémoral. Les patients atteints de syndrome coronarien aigu bénéficient également d’une réduction du taux de mortalité avec cette approche.
L’utilisation de l’artère radiale pour la revascularisation chirurgicale doit être préférée au greffon veineux saphène pour réaliser le pontage du deuxième vaisseau cible le plus important présentant une sténose significative (après l’IVA) en raison d’une meilleure perméabilité, une réduction des événements indésirables et une amélioration de la survie. Pour réaliser le pontage sur l’IVA, l’artère mammaire interne (de préférence la gauche) doit être utilisée pour améliorer la survie et réduire le taux de récidives ischémiques.
Traitement pharmacologique
Une courte durée de bithérapie antiplaquettaire après angioplastie chez les patients présentant une cardiopathie ischémique stable est recommandée pour réduire le risque d’événements hémorragiques. Après avoir pris en compte les risques ischémiques et hémorragiques, certains patients peuvent passer en toute sécurité à une monothérapie par antiP2Y12 et arrêter l’aspirine après 1 à 3 mois de double traitement antiplaquettaire. Tous les patients bénéficiant d’une angioplastie doivent par ailleurs bénéficier d’une dose de charge d’Aspirine. Si le 2e antiagrégant choisi est le Clopidogrel, une dose de charge de 600mg doit également être administrée. En cas d’antécédent d’AVC ou AIT, le Prasugrel ne doit pas être utilisé. S’il existe une indication à un traitement anticoagulant au long cours post angioplastie, l’Aspirine peut être stoppée à 1 semaine du geste avec poursuite d’une bithérapie (anticoagulation + antiP2Y12).
Le traitement bêta-bloquant n’a montré aucun bénéfi cie sur les évènements cardiovasculaires chez le patient complètement revascularisé dans le cadre d’un syndrome coronaire chronique avec une fonction VG normale.
Conclusion – Take Home Message
– La stratégie de revascularisation repose sur une évaluation globale par la Heart Team des comorbidités du patient (via le STS-score entre autres), de ses préférences ainsi que des facteurs techniques per-procéduraux et des caractéristiques de la coronaropathie.
– Le pontage aorto-coronaire doit être préféré à l’angioplastie en cas de coronaropathie complexe, pluritronculaire avec atteinte de l’IVA ou du tronc coronaire gauche chez le patient diabétique ou porteur d’une dysfonction ventriculaire gauche car il améliore la survie.
– Chez les patients tritronculaires stables avec une fonction VG normale, la revascularisation chirurgicale peut être proposée pour améliorer la survie.
– Chez tous les patients, il convient d’évaluer le risque ischémique et le risque hémorragique, pour proposer une durée de double antiagrégation plaquettaire raccourcie (arrêt de l’Aspirine à 1-3 mois post procédure).
Orianne Weizman, CHU Nancy,
2021 ACC/AHA/SCAI Guideline for Coronary Artery Revascularization, A Report of the American College of Cardiology/American Heart Association Joint Committee on Clinical Practice Guidelines
Paru dans le JACC (Journal of The American College of Cardiology), le 4 décembre 2021, https://doi. org/10.1016/j.jacc.2021.09.006
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