L’œuf et la poule
Pourvu de grandes qualités nutritionnelles, l’œuf est le symbole de fécondité, de la renaissance du printemps et donc de la vie depuis la plus lointaine antiquité.
« C’est un aliment excellent et nourrissant que le sain et le malade, le pauvre et le riche partageaient ensemble » résumera Ménon dans la cuisine bourgeoise.
Mythologie
Les civilisations anciennes à travers le temps et sur tous les continents ont attribué à l’œuf la symbolique de la naissance de l’univers. La mythologie grecque l’illustre au mieux en représentant Ouranos et Gaïa enlacés dans l’œuf primordial libérés par Chronos en rompant la coquille. Les mythologies asiatique, japonaise, indienne et chinoise avaient déjà adopté la même vision de la création de l’univers. Pour les taoïstes, Pan Kou, un dieu né dans cet œuf, le brise en deux moitiés donnant naissance au ciel et à la terre. En Egypte, Le dieu Ra serait né d’un œuf d’oie ou d’ibis. Dans la théologie Orphique, Éros, à l’origine de la création, nait de l’œuf cosmique issu de l’union de l’Éther et du Chaos.
Historique
Nos lointains ancêtres, chasseurs cueilleurs, recherchaient les œufs de toutes sortes d’espèces surtout d’oiseaux mais aussi de tortues, de reptiles… comme en témoignent les fragments de coquilles retrouvés dans les habitats préhistoriques.
Avec la sédentarisation, 3000 av. J.C. l’élevage de la poule devient privilégié en raison de sa production généreuse même si la diversité persiste. Des écrits indiens font état de poules domestiquées en 3200 av. J.C. Cependant, les œufs de poule n’avaient pas l’exclusivité : Les Égyptiens étaient amateurs des œufs d’oie, les Phéniciens recherchaient les œufs d’autruche, les Romains appréciaient les œufs de paonne. Toutefois l’œuf n’était guère consommé dans l’Antiquité afin de préserver la production de volaille appréciée des auspices et des paysans ; l’introduction réelle de la poule semble se situer peu avant Périclès dans la Grèce antique et dès cette époque les disciples d’Hippocrate en reconnaissent ses qualités nutritives. Auparavant, les Égyptiens ne mentionnaient que le canard et l’oie seuls représentés sur les tombes et les mastabas.
Au Moyen Age, l’œuf est une importante source de protéines pour les serfs et paysans. Toutefois, les autorités religieuses en prohibaient la consommation les jours maigres (soit 100 à 200 jours par an selon les régions). Pendant le carême, institué au concile d’Aix la-Chapelle en 837, les œufs étaient proscrits et donc conservés dans le sable, la sciure, la chaux ou les graisses jusqu’au jour de Pâques initiant la tradition des œufs de Pâques ; ceux qui n’étaient plus consommables faisaient l’objet de décoration, tradition apparue en Ukraine et dans les pays slaves. Les œufs de Pâques connaîtront des versions prestigieuses sous forme d’ouvrages de joaillerie tels que l’œuf cupidon offert par Louis XV à Madame du Barry jusqu’aux inoubliables créations de Fabergé destinées à la famille Romanov.
La production d’œufs n’a cependant pas toujours été homogène dans l’histoire car beaucoup de paysans préféraient qu’ils soient couvés pour développer la basse-cour et accroître leurs maigres revenus. Déjà Charlemagne avait imposé que les fermes impériales aient au moins cent poules et trente oies.
Le roi Henri IV imposera la poule au pot le dimanche pour assurer l’alimentation correcte des paysans et convaincre de la richesse agricole de la France : « Si Dieu me donne encore de la vie, je ferai qu’il n’y aura point de laboureur en mon Royaume qui n’ait moyen d’avoir une poule dans son pot ».
Louis XIV, grand amateur d’œufs, veillera à l’élevage de poules à Versailles tout autant qu’à son potager. Louis XV s’illustrera dans sa confection d’omelette ou par sa dextérité à découper, d’un seul coup de fourchette, les œufs à la coque. Marie-Antoinette aura soin d’entretenir un poulailler au petit trianon.
Au XVIIIème siècle, apparaît en France la couvaison artificielle qui permettra les sélections et augmentera la productivité des poulaillers. Au XIXème siècle, le croisement avec des races du continent asiatique conduira à l’apparition des œufs de couleur brun clair.
Au cours du XXème siècle, l’élevage industriel, les cycles de jours artificiels porteront la masse de l’œuf de poule de 50 g au siècle précédent à 60 g voire 70 g.
En Europe, la France occupe la première place devant l’Allemagne, avec 3 000 éleveurs produisant 14 milliards d’œufs par an avec 45 millions de poules. Toutefois la France n’est qu’au 11ème rang des pays producteurs avec 1,4 % de la production mondiale dominée par la Chine avec 36 % devant les États-Unis avec 8 %. La production mondiale est de 68 millions de tonnes pour les œufs de poules et 5 millions pour ceux d’autres origines animales. Pour mémoire une poule élevée en batterie produit 310 œufs par an.
Par spectrométrie, on identifie le sexe du poussin dès le 3ème jour conduisant à une sélection très décriée par les protecteurs des animaux face au broyage du poussin mâle.
Qu’il soit distribué en vente directe par l’agriculteur en circuit court au sein des marchés ou en circuit long par la grande distribution, l’œuf est étroitement régulé et surveillé avec une date de consommation n’excédant pas 21 jours pour garantir sa sécurité alimentaire.
Un code de traçabilité figure sur la coquille des œufs achetés en dehors du lieu de production. Le premier chiffre désigne le mode d’élevage : 0, 1, 2 ou 3 selon qu’il provient de l’agriculture biologique, de poules élevées en plein air, au sol ou en batterie.
Chaque Français consomme en moyenne 216 œufs par an, (60 sous louis XV). En 2015, les œufs bio représentaient 13% du marché en volume et les œufs d’élevages en plein air 20%. Les œufs standards représentaient la majorité du marché, avec 60% de part de marché en volume et 1% des revenus des supermarchés.
Aliment peu calorique, composé à 75 % d’eau, l’œuf est la référence nutritionnelle par sa richesse en acides aminés essentiels associée à des éléments vitaminiques indispensables.
Un œuf entier (environ 60 à 70 g) contient en moyenne 5 g de lipides et 6 à 7 g de protéines réparties approximativement à 2/3 pour le blanc (ou albumen) et 1/3 pour le jaune (ou vitellus).
Les lipides sont composés de 32 % d’acides gras saturés, de 14 % d’acides gras polyinsaturés et de 38 % d’acides gras monoinsaturés dont des oméga-3 bénéfiques à la santé.
L’œuf contient toutes les vitamines (à l’exception de la vitamine C) : A, B2, B5, B9 B12, E et constitue une des rares sources naturelles en vitamine D.
Outre les vitamines, il contient des éléments essentiels tels l’acide folique, le fer, le zinc, le sélénium et le phosphore.
Le blanc est composé en quasi-totalité d’eau et de protéines dont les ovalbumines qui en font la première cause d’allergie alimentaire chez l’enfant (35 à 50 % des cas d’allergie observés) contre 7 % chez l’adulte.
Le jaune doit sa couleur à deux caroténoïdes au pouvoir antioxydant (la lutéine et la zéaxanthine) qui préviennent la cataracte et la dégénérescence maculaire. Il contient une vitamine du groupe B la choline, précurseur de l’acétylcholine, neuromédiateur intervenant dans la maladie d’Alzheimer. La choline joue un rôle dans le développement du cerveau et de la colonne vertébrale du fœtus d’où l’intérêt d’un apport alimentaire d’œuf chez la femme enceinte.
Dans les années 1980, l’œuf a connu une désaffection de la part des médecins nutritionnistes qui l’accusaient de majorer le taux de cholestérol sanguin. Des métanalyses n’ont pas relevé de corrélations évidentes entre la cholestérolémie et la consommation d’œufs, pas plus d’ailleurs qu’avec les maladies cardiovasculaires du fait que la majeure partie du cholestérol sanguin est liée à la fabrication endogène. Dès lors 2 à 3 œufs par jour sont tolérés par les diététiciens ; c’est la consommation de l’œuf à la coque au petit déjeuner qui apparaît comme la plus favorable, participant au régime par la sensation de satiété induite mais aussi préservant toutes les qualités nutritionnelles du jaune avec une bonne digestibilité du blanc coagulé.
Le danger de l’œuf provient de sa possibilité de transmettre des salmonelloses essentiellement à partir de sa coquille d’où l’intérêt de le conserver au réfrigérateur. Des contaminations accidentelles peuvent entrainer la présence de métaux lourds ( mercure, plomb,…. ), des résidus de pesticides, (DDT) voire des radionucléides (iode et césium notamment). L’histoire nous a cependant appris que c’était un des rares aliments qui ne pouvait être empoisonné expliquant que Catherine Sforza ne s’alimenta que d’œufs durant sa captivité.
Les recettes ne manquent pas depuis Apicius qui recommande l’emploi d’œufs dans son ouvrage «ars magirica» imaginant des recettes telle que la crème renversée ou l’accommodant dans des sauces et terrines. Souvent les cuisiniers étaient jugés au nombre de préparations différentes qu’ils présentaient ; récemment, des concours télévisés de chefs portent l’accent sur la réalisation d’omelettes ou d’œufs au plat lors de la sélection des candidats. Henri Pigaillem nous rappelle les grandes variétés de préparation au fi l des siècles, des œufs sous la cendre du poète latin Martial aux œufs à la broche de Rabelais nous remémorant qu’au XVIIIème siècle un grand nombre de personnages célèbres associèrent leurs noms à une préparation d’œufs de Chateaubriand au Duc d’Aumale.
Cuit dans l’eau portée à ébullition dans sa coquille, on l’appréciera selon le temps de cuisson sous la forme d’œuf à la coque, d’œuf mollet ou d’œuf dur et sans sa coquille d’œuf poché.
Cuit à basse température en Chine ou sous la cendre au Japon, on le dégustera aussi ou selon le rite juif à feu doux pour présenter les œufs hamine, à la vapeur dans les pays asiatiques voire fécondés pour cuisiner le balut.
Ecalé et cuit dans de la matière grasse, on le retrouvera pour les traditionnels œufs au plat, œufs brouillés.
Il pourra même être cuit pané sur le gril ou au four pour réaliser les œufs cocotte.
L’œuf cru, gobé, reste déconseillé en raison du risque de salmonellose mais… difficile de renoncer à la mayonnaise.
Conclusion
Depuis l’Antiquité, l’œuf est un élément de base de notre alimentation et si le plus familier est l’œuf de poule, des œufs de bien d’autres oiseaux sont aussi consommés : caille, cane, oie, autruche, pigeon et aussi d’autres espèces tels ceux de poissons, comme le caviar ou la poutargue ou ceux de certains reptiles, comme l’iguane vert…
Impossible dans la conclusion d’éviter le paradoxe débattu depuis l’Antiquité sur l’antériorité de la poule ou de l’œuf dans lequel se sont opposés Plutarque, Aristote et bien d’autres…
Dans la conception de Darwin, qui s’oppose au fixisme d’Aristote, aucun doute que l’œuf a précédé la poule puisqu’il existait bien avant la poule comme nous le rappelle le musée de l’œuf (hélas définitivement fermé de Soyans) qui exposait un œuf de dinosaure. Les premiers œufs ont été pondus il y a environ 340 millions d’années et la première poule ou proto-poule serait sorti d’un œuf évolué d’une autre espèce plus de 200 millions d’années plus tard.
Laissons la conclusion à Diderot : « Si la question de la priorité de l’œuf sur la poule ou de la poule sur l’œuf vous embarrasse, c’est que vous supposez que les animaux ont été originairement ce qu’ils sont à présent. Quelle folie ! »
La réponse apparaît moins évidente que ne le laisserait croire l’œuf de Christophe Colomb.
BIBLIOGRAPHIE
– Hervé This ; Les secrets de la casserole – Editions Belin
– Henri Pigaillem ; l’histoire à la casserole – Editions Télémaque
– Histoire de la nourriture Maguelone Toussaint-Samat – Editions Larousse, in extenso – Wikipédia : rubrique œuf
– Petite histoire de l’œuf ; Collectif La Nutrition.fr