Effets de la vaccination antigrippale sur la prévention des événements cardiovasculaires

L’infection par le virus de grippe est associée à des complications potentiellement graves sur le système cardiovasculaire, notamment l’infarctus du myocarde (IDM) et l’accident vasculaire cérébral (AVC).

Plusieurs mécanismes sous-tendent ces complications1,2. Premièrement, l’infection par le virus de la grippe entraîne une activation du système immunitaire, conduisant à une inflammation systémique et une réponse cytokinique excessive. Cette réaction inflammatoire peut déstabiliser les plaques d’athérome dans les artères coronaires et cérébrales, favorisant ainsi la formation de thrombus et augmentant le risque d’occlusion. De plus, la grippe peut entraîner une augmentation du travail myocardique, en stimulant le système nerveux sympathique et en provoquant une libération d’adrénaline, ce qui entraîne une élévation de la fréquence cardiaque et de la pression artérielle. Chez les individus atteints de maladies cardiovasculaires préexistantes, cette surcharge peut entraîner une décompensation cardiaque et une détérioration de la fonction cardiaque. Ainsi, si l’infection grippale présente des risques significatifs sur la santé cardiovasculaire, le vaccin antigrippal a suscité un intérêt nouveau. Le vaccin antigrippal s’est révélé efficace pour réduire l’incidence de la grippe et limiter ainsi les risques d’évènements cardiovasculaires associés. En outre, l’étude de la vaccination antigrippale a pris une ampleur grandissante dans le domaine cardiovasculaire, comme en témoigne l’augmentation significative du nombre d’articles référencés dans PubMed au cours des cinq dernières années. (Figure 1). Ainsi, nous abordons ici les données récentes sur l’efficacité de la vaccination en tant que mesure prépondérante pour réduire l’impact de la grippe sur la santé cardiovasculaire.

 

Études épidémiologiques

Les études observationnelles récentes visant à évaluer les effets du vaccin antigrippal sur les évènements cardiovasculaires ont montré des résultats confirmant l’effet protecteur de la vaccination (Tableau 1). Cependant, il est important de noter que des variations substantielles dans l’ampleur de cet effet persistent. Ainsi, dans une étude cas-témoins portant sur 105 454 individus âgés de 65 ans ou plus, les patients vaccinés ont présenté une réduction significative de 87 % du risque d’être hospitalisé pour un syndrome coronarien aigu (SCA) (rapport des cotes ajusté [OR ajusté] de 0,13 ; intervalle de confiance à 95 % [IC 95 %] de 0,03 à 0,65) et une réduction encore plus marquée de 99,7% du risque d’AVC (OR ajusté de 0,07 ; IC 95 % de 0,01 à 0,48)3 . Cependant, d’autres études montrent un bénéfice d’amplitude moins importante, comme l’étude de Siriwardena, A. N et al. Dans laquelle la survenue de SCA était comparativement réduite de 19% chez les individus vaccinés contre la grippe (OR ajusté 0,81, IC à 95% 0,77-0,85)4. Les divergences dans les résultats observés peuvent être attribuables à divers biais, en particulier des disparités de santé, de mode de vie et de comportement, qui sont souvent complexes à évaluer dans les données cliniques recueillies. Toutefois, il est possible d’obtenir des données épidémiologiques de haute qualité par des approches méthodologiques telles les séries de cas autocontrôlées (SCCS). Cette méthodologie permet aux sujets de servir de propre témoin, en effectuant des comparaisons intra-individuelles, facilitant ainsi le calcul de l’association entre un événement indésirable et une exposition transitoire (Figure 2).

Grâce à cette approche, il est possible de fournir des données épidémiologiques solides pour améliorer notre compréhension de l’impact réel de la vaccination antigrippale sur la santé cardiovasculaire. Ainsi, l’étude SCCS récente menée par Davidson et al. a examiné les effets de la vaccination antigrippale sur les événements cardiovasculaires aigus (SCA, insuffisance cardiaque aiguë (IC), AVC, accident ischémique transitoire (AIT), ischémie aiguë des membres). La cohorte incluait 193900 individus âgés de 40 à 84 ans, tous ayant reçu la vaccination antigrippale et suivi sur une période de 12 mois. Dans l’analyse principale, le risque d’événement cardiovasculaire aigu a été réduit de 28% dans les 15-28 jours après la vaccination (ratio d’incidence [IR] = 0,72 ; IC 95% 0,70-0,74). Bien que la taille de l’effet diminue avec le temps, le risque demeure significativement réduit dans les 120 jours suivant la vaccination. Les SCA ont présenté la plus grande réduction, tandis que les effets étaient moins prononcés pour les autres événements cardiovasculaires.5

Bien que les preuves soutenues par de nombreuses méta-analyses restent solides (Tableau 3), l’effet du vaccin chez les patients atteints d’insuffisance cardiaque a suscité des interrogations. Les données récentes montrent néanmoins des avancées dans ce domaine. Une méta-analyse récente, regroupant 247 842 patients atteints d’insuffisance cardiaque issus de 7 études de cohortes, indiquent que les risques de mortalité toutes causes (risque relatif [RR] = 0,75, IC à 95% 0,71-0,79) et de mortalité cardiovasculaire (RR = 0,77, IC à 95% 0,73-0,81) sont significativement réduits dans les 12 mois suivant l’administration du vaccin antigrippal, par rapport aux patients atteints d’insuffisance cardiaque non vaccinés6.

Ces résultats encourageants suggèrent que la vaccination antigrippale pourrait jouer un rôle bénéfique dans la prévention des complications cardiovasculaires chez les patients atteints d’insuffisance cardiaque, bien que des recherches supplémentaires soient nécessaires pour mieux comprendre l’ampleur de cet effet protecteur.

 

Essais cliniques

Les essais cliniques randomisés contrôlés confirment également l’efficacité du vaccin antigrippal dans la prévention des événements cardiovasculaires. L’étude IAMI, en particulier, a joué un rôle majeur dans ce domaine en mettant en évidence, pour la première fois, un bénéfice dès la phase précoce d’un IDM. Les résultats de cette étude constituent une avancée significative, soulignant l’importance de la vaccination antigrippale dans la réduction des risques cardiovasculaires. Dans cet essai, 2 571 patients hospitalisés pour un IDM (99,7 %) ou un angor instable (0,3 %) ont été inclus et randomisés pour recevoir soit le vaccin antigrippal, soit un placebo dans les 72 heures suivant leur admission. Les résultats montrent une réduction significative du risque d’événements cardiovasculaires majeurs (décès toutes causes, IDM et thrombose de stent) à 12 mois dans le groupe vacciné (Hazard ratio [HR] = 0,72 ; IC 95 %, 0,52-0,99), et ce même en dehors de la saison grippale. Les taux de décès toutes causes confondues étaient de 2,9 % et 4,9 % (HR = 0,59 ; IC 95 % 0,39-0,89), les taux de décès d’origine cardiovasculaire étaient de 2,7 % et 4,5 % (HR = 0,59 ; IC 95 % 0,39-0,90) et les taux d’IDM étaient de 2,0 % et 2,4 % (HR = 0,86 ; IC 95 % 0,50-1,46) dans les groupes vaccin antigrippal et placebo, respectivement7 . Les recherches récentes se sont également concentrées sur les avantages avérés de la vaccination antigrippale chez les patients atteints de maladies cardio-vasculaires et à déterminer l’impact des nouveaux vaccins à haute dose sur ces résultats. Les essais cliniques synthétisés dans le Tableau 2. fournissent des données probantes sur l’efficacité du vaccin contre la grippe dans la prévention des événements cardiovasculaires. Une étude significative dans ce domaine est l’étude VIP-ACS, menée sur 1 801 patients, qui a comparé deux stratégies de vaccination antigrippale à la phase précoce d’un SCA : une double dose de vaccin inactivé quadrivalent administré avant la sortie de l’hôpital versus une dose standard de vaccin inactivé quadrivalent administrée en ambulatoire 30 jours après la randomisation

Les résultats n’ont montré aucune différence entre les deux groupes sur le critère de jugement primaire composite, qui incluait le décès toutes causes confondues, l’IDM, l’AVC, l’angor instable, l’hospitalisation pour IC, la revascularisation coronarienne urgente et l’hospitalisation pour des causes respiratoires (Win ratio = 1,02 ; IC 95% 0,79-1,32). Même si les résultats de l’étude VIP-ACS n’ont pas montré d’effets cardiovasculaires supplémentaires, ils apportent néanmoins des informations importantes, notamment en mettant en évidence la rareté des effets indésirables et en démontrant une action d’immuno-prévention non dépendante de la dose utilisée8. De même, les méta-analyses récentes démontrent une réduction significative du risque d’événements cardiovasculaires chez les personnes vaccinées. Une méta-analyse de 6 essais cliniques randomisés ayant inclus 9001 patients, comparant la vaccination antigrippale à un placebo ou à un contrôle non vacciné, a montré une réduction de 45 % du risque d’événements cardiovasculaires indésirables majeurs à 12 mois chez les patients ayant récemment subi un SCA [RR : 0,55 ; IC95% : 0,41-0,75)9. Cependant, il est important de noter que ces essais cliniques peuvent présenter des limites, telles que la durée limitée de suivi ou des différences dans les caractéristiques des participants. Des études futures devraient continuer à évaluer l’efficacité du vaccin contre la grippe dans la prévention des maladies cardiovasculaires et explorer les mécanismes d’action sous-jacents.

Un effet direct du vaccin antigrippal ?

Les recherches ont montré que la vaccination antigrippale pourrait avoir un effet athéroprotecteur direct. Dans les études cliniques précédemment citées, la persistance de la protection cardiovasculaire même en dehors des saisons grippales suggère un effet indépendant de la seule prévention des infections grippales. Des études sur des souris athérosclérotiques ApoE-/- ont révélé que la vaccination antigrippale modifiait la réponse inflammatoire systémique vers un profil athéroprotecteur, réduisant les lésions athérosclérotiques10. Des découvertes récentes ont également montré que la vaccination antigrippale pouvait réduire l’inflammation induite par une chirurgie cardiaque, soulignant un rôle immunomodulateur potentiel de cette vaccination11. Le mécanisme précis de cet effet reste à déterminer, mais des pistes suggèrent des réactions croisées entre les anticorps produits en réponse à la vaccination antigrippale et des cibles impliquées dans l’athérosclérose12. Ces nouvelles avancées enrichissent la compréhension des bénéfices de la vaccination antigrippale sur la santé cardiovasculaire.

Implications pratiques pour les cardiologues

Les recommandations émises par les principales sociétés savantes de Cardiologie, telles que l’European Society of Cardiology (ESC) et l’American Heart Association (AHA), soutiennent fortement la vaccination antigrippale comme moyen de prévention des maladies cardiovasculaires. Ces recommandations établissent la vaccination annuelle comme une pratique essentielle chez les patients atteints de maladies cardiovasculaires avec un grade de recommandation IB.13,14 En tant que spécialistes, les cardiologues ont une position privilégiée pour sensibiliser leurs patients à l’importance de se faire vacciner chaque année. Pour optimiser la vaccination, une approche proactive pourrait être adoptée par les cardiologues en recommandant la vaccination à leurs patients. En encourageant régulièrement la vaccination antigrippale, les cardiologues peuvent ainsi contribuer à améliorer la protection cardiovasculaire de leurs patients et à réduire les risques de complications liées à la grippe.

Conclusion et perspectives

La littérature met en évidence des preuves épidémiologiques et cliniques qui suggèrent une relation bénéfique entre la vaccination antigrippale et la protection contre les événements cardiovasculaires. Les études épidémiologiques, les méta-analyses, les études de cohorte et les essais cliniques randomisés contrôlés, ont montré de manière cohérente que la vaccination antigrippale est associée à une réduction significative du risque d’événements cardiovasculaires majeurs, en particulier chez les personnes à risque élevé de maladies cardiovasculaires (Figure 3).

Ces observations suggèrent que la vaccination contre la grippe pourrait jouer un rôle important dans la prévention primaire et secondaire des maladies cardiovasculaires. En réduisant l’incidence de l’infection grippale et en atténuant ses effets néfastes sur le système cardiovasculaire, le vaccin antigrippal offre un moyen potentiellement efficace et abordable de réduire la charge des maladies cardiovasculaires dans la population. Cependant, certaines questions restent encore à explorer. Des études supplémentaires sont nécessaires pour mieux comprendre les mécanismes d’action sous-jacents et pour évaluer l’efficacité à long terme de la vaccination antigrippale dans la prévention des événements cardiovasculaires. En conclusion, les preuves actuelles soutiennent l’utilisation du vaccin antigrippal comme une stratégie importante de prévention des maladies cardiovasculaires. Les recommandations nationales et internationales encouragent la vaccination antigrippale chez les personnes à risque élevé de maladies cardiovasculaires. Ainsi, les cardiologues jouent un rôle crucial dans la sensibilisation des patients et la promotion de la vaccination antigrippale en tant qu’intervention complémentaire dans la gestion globale des maladies cardiovasculaires.

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