Jean-Baptiste de La Quintinie (1626-1688)
Ce n’est pas un cuisinier mais sa contribution à l’histoire de l’alimentation justifie pleinement de le faire figurer dans cette chronique. Nous vous proposons de faire plus ample connaissance avec Jean-Baptiste de La Quintinie, le jardinier du roi Louis XIV. Cet avocat, jardinier et agronome, fut chargé en 1678 de la création du potager du Roi, tâche à laquelle il s’employa avec tellement de passion et d’efficacité qu’il put s’honorer d’être un familier du roi et que son nom entra dans l’histoire, dépassant le cadre de Versailles.
Visite guidée du Parc de Versailles
Après avoir parcouru les magnifiques jardins et allées dessinés par Le Nôtre et admiré les plans d’eau, canaux et fontaines agencés par la famille Francine, ne manquez pas la visite du potager du Roi, dominé aujourd’hui par la statue plus grande que nature de son concepteur : JeanBaptiste de La Quintinie. Entre le potager et le jardin se trouve une porte en fer forgé récemment restaurée, « la grille du Roi », une des plus majestueuses de Versailles, donnant l’accès sur la pièce d’eau des Suisses. Imaginez le monarque s’éloignant des courtisans, franchissant la grille pour retrouver son jardinier, échanger avec lui sur la taille des espaliers ou la saisonnalité des produits, s’inquiétant de sa possibilité de nourrir la cour du lendemain ou simplement de choisir ses légumes et fruits préférés : petits pois, asperges, artichauts, figues, poires, fraises, raisin muscat,… Le plus rustre de ses courtisans s’autorisa même des remontrances au Roi… qui ne l’écartera quequelques semaines avant de le retrouver dans son potager. Le Roi Soleil s’emploiera à manier le râteau, couper des branches et tailler des fruitiers suivant les conseils et directives du jardinier. Personnage étonnant que ce Jean-Baptiste de La Quintinie dont nous allons découvrir le portrait.
Biographie
Dans les Hommes illustres, Charles Perrault, en 1697, consacre une rubrique au créateur du potager du Roi. Né en 1626 à Chabanais (Charente), cet héritier d’une dynastie notariale du Limousin, fréquenta la faculté de droit de Poitiers et débuta une carrière d’avocat au Parlement de Paris accédant à la charge de Maître des requêtes de la Reine dotée d’appointements modestes. Remarqué par sa formation d’humaniste et son talent, il ne laissa pas passer sa chance en acceptant d’accompagner pour un voyage d’étude le fils du très influent Jean Tambonneau, Président de la Chambre des Comptes en tant que précepteur. Lors de ce périple, se révéla la vision de son avenir devant la découverte des jardins de Montpellier puis des magnifiques créations des jardins italiens.
À son retour, il renonça à sa carrière pour se consacrer à l’agronomie. Des séjours en Angleterre complétèrent sa formation. « Une passion obsessionnelle pour l’agronomie, l’horticulture, le jardinage » comme le note Patrick Gélinet qu’il mit en pratique dans le jardin de l’hôtel particulier de son mécène, père de son élève, personnage fortuné, bien en cour et bien marié, complaisant avec son épouse, sœur de la duchesse de Noailles. Édifié par Le Vau, rue de l’Université, ce premier lieu d’application de ses talents lui ouvrit les portes du château du Prince de Condé à Chantilly et celui de Colbert à Sceaux.
En 1662, il épouse Marguerite Joubert qui lui donne trois fils dont Michel, seul, lui survécut et publiera ses observations. Curieux des sciences de la nature, instruit des auteurs anciens, il fit partie de l’aventure du château de Vaux-le-Vicomte aux cotés de Le Nôtre, Le Vau et Le Brun qui l’accompagnèrent après la disgrâce du surintendant Fouquet pour s’investir dans la construction du château et du parc de Versailles que le roi érigera sur l’emplacement du modeste pavillon de chasse de Louis XIII pour servir ses ambitions politiques.
Le 17 mars 1670, Colbert le recommande à Louis XIV qui crée spécialement à son intention la charge de « Directeur des jardins fruitiers et potagers de toutes les maisons royales », avec mission d’approvisionner la table royale en fruits et légumes. Il se met en charge de développer le potager conçu sous Louis XIII vite insuffisant pour les ambitions de Versailles. En 1678, il commence l’aventure de la création du potager du Roi qui révéla les qualités exceptionnelles de La Quintinie tout orienté vers cette seule tâche.
Le potager du Roi
Le potager désigne l’endroit où l’on cultive les herbes, plantes, légumes nécessaires pour la confection des potages. Au Moyen Âge, les potagers jouxtent les monastères qui avaient souci également de disposer de plantes médicinales, de vergers et de vignes. Arnauld d’Andilly, retiré en 1642 à Port-Royal, avait ouvert la voie de l’art du jardin et de la culture potagère.
Initialement la volonté du monarque de magnifier le palais occasionna les premiers déboires du jardinier qui n’obtint pas l’emplacement rêvé pour son potager dans la campagne de Clagny. Les perspectives des jardins à ne pas contrarier, la proximité imposée entre le potager et le palais, la volonté de l’architecte Jules Hardouin-Mansart décidèrent du choix de l’emplacement au lieu-dit l’étang puant peu propice à un potager. Cependant une fois l’endroit désigné, Mansart apporta un concours sans faille au jardinier pour l’assèchement des marécages, le terrassement, l’élévation des murs et terrasses, le drainage des sols, l’approvisionnement en eau… Pour enrichir le sol, La Quintinie porta son choix sur la terre de Satory. La création du potager emploiera des milliers d’hommes pendant cinq ans.
Le principe de la construction repose sur la conception ancienne du jardin de curé avec ses carrés et ses planches disposés autour d’un bassin central pour l’arrosage. Au centre, destiné aux légumes, le grand Carré est subdivisé en 16 carrés. Sur les côtés s’élèvent des terrasses dont les murs constituent des appuis pour les arbres fruitiers disposés en espaliers et délimitent des espaces de culture propres aux légumes choisis : les chambres. Au total, près de 5 000 arbres fruitiers occuperont le verger du roi et le potager s’étendra sur 9 hectares sur lesquels seront édifiés les bâtiments destinés aux fruitiers : orangeraie, figueraie, prunelaie… proches des logements pour les jardiniers et de la maison attribuée par le Roi à La Quintinie et où sa femme aura le privilège de pouvoir résider après la disparition du jardinier. Deux espaces, donnant sur la rue voisine, assuraient la distribution gratuite d’une partie des produits. Soucieux de flatter le goût du roi, le Directeur des jardins s’emploiera à livrer au service de bouche les fruits et légumes préférés même en s’affranchissant de la saisonnalité. À cette fin, il sélectionnera les variétés les plus adaptées. L’illustration en est donnée par le choix de la poire Bon Chrétien d’hiver choisie parmi plus de 300 espèces de poires connues par de La Quintinie qui se plaisait à les énumérer en une litanie lassante .Il développera la culture des arbres fruitiers, selon l’ancienne méthode chinoise, en espaliers pour privilégier l’ensoleillement et usera de caisses mobiles pour transporter les arbres à l’abri pendant les saisons peu clémentes. S’insurgeant contre les méthodes de taille pratiquées à l’époque, il les personnalisera pour répartir le poids des fruits sur la totalité des branches s’aidant de son invention : la serpette, accessoire qui se retrouvera sur les statues à son honneur.
Dans ce même souci d’ensoleillement, il pratiquera l’élevage de légumes dans des serres, sous des châssis ou des cloches de verre enrichissant la terre par des engrais naturels provenant des écuries royales. La réputation du potager du Roi retenait l’attention et devint un lieu de visite où le roi aimait conduire ses hôtes de marque comme l’ambassadeur du Siam, le doge de Venise ou l’architecte suédois Nicodème Tessin qui multiplia les rencontres avec le jardinier. Les deux années qui suivirent
la livraison du potager, La Quintinie mènera à bien la construction de l’orangeraie avec la collaboration de Mansart et de Le Nôtre. Il faut resituer dans le Versailles de cette époque, la tâche colossale qui incombe au jardinier d’approvisionner au quotidien près de 3 000 personnes et même jusqu’à 5 000. Nonobstant les difficultés climatiques, la saisonnalité, les contraintes parfois de déplacements de la cour hors de Versailles, il réussit avec sa trentaine de gens-jardiniers logés sur place à honorer le cahier des charges fournissant au service de la Table du Roi relayé par quelques 500 officiers de bouche des quantités phénoménales jusqu’à 150 melons par jour, 4 000 figues…
Il compta jusqu’à 700 figuiers, 3 000 orangers disposés dans des caisses pour assurer un suivi à l’année, insistant auprès des services du roi pour abandonner les pyramides de fruits prétentieuses au bénéfice de corbeilles de fruits plus avenantes.
L’agronome
« L’art de La Quintinie » évoqué par Boileau marque une rupture avec la conception des jardins post médiévaux, période où les fruits et légumes ne bénéficiaient pas d’une réputation flatteuse, victimes d’une conception théocentrique de la nature selon laquelle ce qui s’élevait vers le ciel était digne de Dieu,ce qui poussait sur le sol et pire sous le sol comme les tubercules, les racines ou même la truffe faisaient commerce avec le diable. Remarquable observateur et expérimentateur, La Quintinie appliquera une rigueur scientifique à ses travaux et recherches comme en témoigne, dès les premiers temps de sa pratique des jardins, la mise en évidence de l’absence d’intérêt de conserver le chevelu des racines lors des transplantations, expérience qui contribua à son renom. Il assimilera les méthodes traditionnelles des maraichers pour le forçage des légumes et leurs procédés de conservation prolongée de leur production. Le mot « maraîcher » dérive de l’ancien français « maréquier » désignant les paysans établis sur les marais autour de la capitale. Toute son expérience, collectée au jour le jour dans ses carnets, sera colligée dans son ouvrage posthume en 2 volumes édités en 1690 par son fils :« Instruction pour les jardins fruitiers et potagers, avec un Traité des orangers, suivy de Quelques réflexions sur l’agriculture ».
La reconnaissance royale
Jean-Baptiste de La Quintinie est anobli en 1687 par le roi Louis XIV qui lui accorde un brevet d’armoiries. Il meurt le 11 novembre 1688 dans la maison que le Roi avait fait construire pour lui, près du potager de Versailles. « Madame, nous avons fait une grande perte que nous ne pourrons jamais réparer » déclara le Roi à sa veuve.
Conclusion
Avec la création du potager du Roi par Jean-Baptiste de La Quintinie, les fruits et les légumes obtiennent leurs lettres de noblesse et se retrouvent associés dans une nouvelle conception des aliments de la cour rompant avec la tradition médiévale. Ce juriste de formation, observateur et expérimentateur rigoureux, parviendra à approvisionner la cour à la plus grande satisfaction du monarque dont il savait flatter le goût. « L’art des jardins a été créé et perfectionné par Le Nôtre pour l’agrément, et par La Quintinie pour l’utile. » résumera magnifiquement Voltaire. Ce jardin ,classé monument historique depuis 1921, se visite encore aujourd’hui même si l’École Nationale d’Horticulture fondée sur cet emplacement en 1874 a été transférée à Angers en 1995.
BIBLIOGRAPHIE
José Délias, La Quintinie, jardinier du roi Louis XIV (1626–1688) ; Éditions Transmettre
Patrice Gélinet, 2000 ans d’histoire gourmande ; Éditions Perrin
Frédéric Richaud, Monsieur le jardinier ; Éditions Grasset
Alain Baraton,Je plante donc je suis ; Éditions Grasset
Wikipédia : articles de La Quintinie