Les Légumes : Histoire et géographie
Essentiels pour une alimentation équilibrée, les légumes se voient souvent confinés à un rôle d’accompagnement de plats alors qu’ils mériteraient par leurs valeurs nutritives intrinsèques, par leurs saveurs, par leurs diversités d’être promus « stars » de la table. Ces quelques lignes pour mieux vous familiariser avec l’histoire des légumes couplée à celle des hommes mais aussi avec leurs origines géographiques sur les traces des explorateurs ou des conquérants.
Définition
Un légume est une plante potagère dont une partie est comestible pour l’homme. La définition laisse percevoir la grande variété de légumes selon que la partie comestible en est la racine (carotte), le tubercule (pomme de terre), le bulbe (oignon), la tige (poireau), la feuille (laitue), la fleur (artichaut), le pétiole (cèleri), la graine (haricot) voire le fruit (tomate) ; on pourrait même l’étendre aux champignons et aux algues.
Parfois on désigne par légume « tout aliment non carné et non sucré accompagnant un plat de viande ou de poisson au cours d’un repas » ce qui peut inclure les féculents comme le riz mais aussi des fruits d’accompagnement (orange, melon).
La tomate, à la fois fruit et légume, illustre le chevauchement des conceptions entre botanistes et cuisiniers. L’intrication est telle que la Cour suprême des États-Unis a dû statuer en 1893 en raison des taxes douanières pour classer la tomate ; La CEE a également dû trancher en 2001 pour cataloguer les confitures à base de légumes.
Étymologie
« Les latins donneront le nom de « legumen » (dérivant de legere signifiant cueillir, ramasser) à toute graine comestible qui vient dans des gousses et peut se manger en bouillie ou réduite en purée » Benoist et Goëzler.
Féminin à son origine et jusqu’au XVIIème siècle, le terme « légume » est apparu en 1531 en français désignant d’abord les graines de légumineuses puis le langage populaire, relayant les botanistes, l’a étendu aux végétaux l’opposant aux fruits (de nature sucrée), aux condiments et épices, utilisés en très faible quantité et en assaisonnement et c’est très tardivement au XIXème siècle que le mot sera attribué à l’ensemble des productions du potager.
Classification
Les légumes secs de faible teneur en eau se conservent longtemps à l’abri de l’humidité : fève, haricot, lentille, pois cassé, pois chiche, soja. Le soja est la légumineuse la plus consommée dans le monde. « Les légumineuses très nourrissantes par l’amidon, les protéines et les sels minéraux qu’elles contiennent ont été surnommées la viande du pauvre » commente Maguelone Toussaint- Samat.
Cultivés par les maraîchers en pleine terre ou dans des serres, les légumes frais ou légumes verts font la qualité de nos marchés de saison ; Les jardins potagers, les jardins de ville ou les jardins ouvriers (créés en 1896 par l’abbé Jules-Auguste Lemire à la fois prêtre catholique et député radical de gauche du Nord) contribuent aux apports familiaux. L’approvisionnement des marchés est dépendant des conditions climatiques propres à chaque région mais les technologies permettent de dépasser la saison de consommation de nombreux produits. La pomme de terre, la tomate (classée comme légume par la FAO) et la pastèque sont les légumes les plus cultivés au monde.
Certains légumes bénéficient d’une Appellation d’Origine Protégée : Coco de Paimpol, Lentille verte du Puy, Lingot du Nord, Pomme de terre de l’île de Ré ou de Noirmoutier…
Redécouverts par quelques jardiniers, relayés par des cuisiniers de renom, les légumes oubliés tels que le crosne du Japon, le panais, le pâtisson, le topinambour, le rutabaga (à la réputation de légumes de disette) méritent une mention particulière.
Historique
Les chasseurs-cueilleurs étaient peu familiarisés avec les légumes. La sédentarisation qui marque la fin de la Préhistoire voit apparaitre dans « le croissant fertile » les premiers agriculteurs développant parallèlement l’élevage. La nature a fourni à l’homme du néolithique (10 000 av JC) quelques légumes : petites feuilles, racines… mais surtout les céréales comme le blé et l’orge prospérant de manière sauvage avec l’aide du vent et des insectes avant d’être cultivées conjointement avec les légumineuses (pois, lentilles et fèves) facilement stockables et porteuses de calories. Avec la découverte de la fermentation, bouillie, bière et pain résumeront les premières conquêtes alimentaires. La domestication et la sélection des plantes sauvages puis la cuisson permettront de faire évoluer la perception des légumes. Trois brassages humains au cours des siècles vont diversifier l’alimentation par la diffusion de nouveaux produits : les conquêtes de l’Empire romain, l’expansion arabe et la découverte des Amériques.
Depuis les temps éloignés, fèves, lentilles et pois sont consommés. L’échange du droit d’ainesse par Esaü nous le rappelle et la Bible nous rapporte que Dieu fit croître une courge éphémère pour donner de l’ombre à Jonas. En Assyrie et en Egypte s’inventent les premiers
raffinements culinaires mettant en exergue le savoir-faire des cuisiniers. Les navets, les choux, les oignons, les aulx, les carottes, les concombres, les pastèques et les panais vont garnir les écuelles du monde grécoromain, très amateur de fruits, olives, poissons, viandes coquillages, laitages… Les gaulois priseront tout particulièrement les choux composant les potées. Parallèlement les mythologies se dotent de Déesses dédiées : Isis, Gaïa, Demeter, Pomona, Cérès…
L’empereur Charlemagne aura soin de préciser dans le capitulaire « De Villis » publié en 796 sous la direction du latiniste Alcuin, les 73 herbes et 16 arbres dont les monastères et les domaines devaient assurer la production. « À côté des plantes médicinales et aromatiques n’étaient pas oubliés les choux, carottes, radis, bettes, laitues, poireaux et aulx » comme nous le rappelle Éric Birlouez, un panorama de la production au VIIIème siècle.
Au Moyen Âge, sous l’influence religieuse, se différencient les produits nobles poussant en hauteur vers les cieux et les produits rudimentaires (racines, tubercules et même la truffe…) poussant en terre et destinés aux paysans perpétuant en fait la théorie de Démocrite sur la hiérarchie linéaire du monde vivant, du minéral à Dieu.
Au Xème siècle, dans les suites des croisades, d’autres légumes ont été introduits à partir du proche orient et de l’orient plus lointain (Perse, Inde…) : artichauts, épinards, aubergines s’intègrent d’abord à la cuisine italienne avant de se diffuser vers l’Europe portée par le rayonnement culturel des villes du nord de l’Italie.
Au décours de la découverte de l’Amérique, et surtout de la conquête du Pérou par Pizarro (1535) tomates, haricots, poivrons, piments, maïs, … apparaissent sur les tables de l’ancien continent d’abord dans la péninsule ibérique puis en France.
Les légumes obtiennent leurs lettres de noblesse quand Louis XIV inaugure en 1683 à Versailles le toujours célèbre « potager du Roi » au lieu-dit de « l’étang puant » confié à l’avocat agronome Jean-Baptiste de La Quintinie avec sa liste officielle de légumes et fruits à y cultiver : asperges, petits pois, champignons, concombres, choux-fleurs, cardons, épinards, fèves, oignons, laitues… Le terme potager, désignant initialement le cuisinier affecté à la cuisson des légumes, tire son nom au XVIème siècle de l’endroit où on plante ce que l’on mettra au pot pour y bouillir et constituer ainsi les potages.
Mention spéciale pour l’endive, seul légume nouveau, créée par un jardinier belge au milieu du XIXème siècle à partir de la chicorée.
Puis viendra, avec l’époque contemporaine, le temps des empires coloniaux et celui de la mondialisation, avec des consommations hors saison de produits plus lointains et exotiques.
Au XXème siècle, les conserves et les surgelés ont envahi le quotidien du consommateur… Aujourd’hui on dénombre des milliers de catégories de légumes et l’agronomie scientifique, s’appuyant sur les chercheurs développent, des OGM pour relever le défi de l’alimentation de la population mondiale sélectionnant des espèces, développant des résistances non sans susciter les mouvements d’une opinion publique inquiète et réticente aux manipulations génétiques. Au crédit de la recherche il faut cependant porter les créations de cultivars, le souci de créer des réserves de plantes et la protection de la biodiversité.
Les légumes ont aussi une géographie et Jack. Rodney Harlan (botaniste et agronome américain décédé en 1998) a répertorié les aires d’origine des légumes. Préalablement, Nicolaï Vavilov (décédé en 1943) attribuait l’origine des plantes cultivées à une quinzaine de zones géographiques restreintes situées dans des zones transitionnelles d’écosystèmes réparties à travers le monde.
La pomme de terre, connue des Amérindiens dès 8000 av. J. C, arrivée en Espagne dans les cales des navires en provenance du Chili, sera connue en France au XVIIème et devra au pharmacien bienfaiteur et brillant promoteur, Parmentier sa popularisation comme nourriture anti famine. La tomate est d’origine aztèque. Du Pérou et du Mexique, le haricot doit à Christophe Colomb son destin européen et en 1553 le mariage de Catherine de Médicis avec Henri II le popularisera en France. Le chou tant prisé des gaulois, méconnu dans l’Antiquité Egyptienne, est bien un produit européen dont la plasticité a permis le développement d’un groupe très riches de légumes aux qualités alimentaires et médicinales reconnues.
Nos carottes venues d’Afghanistan après le Xème siècle, longtemps assimilées aux panais ne gagneront leur coloration orange qu’au XVIème siècle suite à des hybridations aux Pays Bas. Connu des Égyptiens, des Grecs et des Romains, l’oignon provient d’Asie centrale comme la betterave potagère cultivée seulement depuis le XVIème siècle en Europe. Apparu au XIIème siècle en Syrie, le chou-fleur est arrivé en Italie au XVIème siècle. Venu de Perse, l’épinard arrive en France au Xème siècle sous le nom d’espinoche, servi dans des préparations sucrées ; sa couleur verte lui vaut la qualification de « Prince des légumes » par les dignitaires musulmans.
L’artichaut était déjà présent dans l’Ouest de la Méditerranée. Néanmoins, il a attendu le XVIème siècle pour se diffuser en Europe et bénéficia de l’intérêt de Catherine de Médicis.
Nous évoquons par quelques anecdotes la rencontre des légumes avec l’histoire. Certains d’entre eux, au fi l des siècles, ont bénéficié des faveurs d’hommes célèbres ; nous mentionnerons la passion d’Auguste et de Tibère pour le concombre venu d’Orient, celle de Néron pour le poireau auquel il confi ait la protection de sa voix, l’intérêt de Charlemagne pour le pois chiche ou les tocades de la cour de Louis XIV successivement pour les haricots et les petits pois qui alimentaient (si j’ose écrire) les lettres de Madame de Sévigné. L’asperge du printemps, fit le régal au quotidien d’Henri III, Henri IV et Louis XIII.
Le potage à la du Barry nous rappelle le goût de Louis XV pour le chou-fleur. A contrario, l’épinard, cher à Popeye, personnage de la bande dessinée d’Elzie Segar, fut pris en aversion par Sigmund Freud.
Enfin il ne faut pas oublier la contribution des petits pois à la génétique à travers les travaux du moine autrichien Gregor Mendel. Signalons Le poireau devenu l’emblème du pays de galles en l’honneur de David de Ménevie, saint patron du pays, qui demanda à ses soldats, avant l’usage des uniformes, de les ramasser dans un champ proche du campement et de les afficher pour se distinguer de leurs ennemis.
Vert, jaune, rouge, violet… La palette de couleurs des légumes sur l’étal des maraichers (dont le nom provient des marais fertiles des environs de Paris) est très étendue et n’a rien à envier à celle des fruits : la chlorophylle donne sa couleur verte à de nombreux légumes feuilles, les couleurs jaune-orange des légumes signe la présence de carotène alors que la coloration rouge-bleue est due aux anthocyanes.
Crus ou cuits, sous forme de salades ou potages, les légumes sont indispensables à une alimentation équilibrée. Riche en eau (90 à 95 %), bien pourvus en vitamines et sels minéraux, les légumes frais, peu caloriques, concourent à une bonne santé par leur pouvoir antioxydant et à une bonne digestion par leurs contenus en fibres. Aux féculents et légumineuses le soin d’apporter l’énergie et les calories. « Au moins 5 fruits et légumes par jour », hors pommes de terre, recommande le Programme National Nutrition Santé encourageant à la consommation de fruits et légumes crus ou cuits. Les récentes enquêtes révèlent encore le déficit d’application de ces conseils en évaluant à 260 g la consommation de fruits et légumes (répartis à parts égales) loin des 400 g nécessaires pour un bon équilibre diététique.
La contribution des légumes à la pharmacopée, dès l’antiquité, est comparable à l’intérêt porté à leurs vertus supposées aphrodisiaques déjà évoquées dans des chroniques précédentes. Dans le langage symbolique de l’interprétation des songes, les légumes se voient confinés à une signification matérielle en opposition aux fruits qui traduisent la vie amoureuse : ainsi le radis et le navet symbolisent la déception, la citrouille le potentiel, les carottes l’énergie qui fait défaut, les lentilles la stabilité matérielle, le poireau la volonté du pouvoir, les haricots
et les fèves la satisfaction de la vie matérielle … Exercez-vous !
Conclusion
A travers l’expression « grosse légume » pour désigner un personnage important et à l’opposé la qualification de « légume » pour une personne contrainte à une vie végétative par les accidents de la vie, on imagine l’étendue de la conceptualisation du mot. En témoigne également la référence à de très nombreuses espèces de légumes dans les maximes, proverbes et dictons populaires.
Respecter les règles de la saisonnalité, les circuits courts de la production artisanale et locale est un garant de bonne santé. Sans vouloir froisser les adeptes du véganisme, du végétalisme ou du régime végétarien, les légumes chez l’homme s’incorporent à une alimentation diversifiée depuis son origine.
BIBLIOGRAPHIE
– Histoire naturelle et morale de la nourriture ; Maguelone Toussaint-Samat – in extenso Editions Larousse.
– Légumes ; Régis Marcon – Editions de La Martinière (2020).
– Légumes, sur le Wiktionnaire (thésaurus) et Wikimédia Commons.
– Pourquoi Cléopâtre mangeait-t-elle couchée ? ; Violaine Vanoyeke – Editions du moment.
– Les plantes cultivées et l’homme ; J R Harlan – Editions P.U.F.
– Des légumes ; Jean-Marie Pelt – Editions Fayard.
– Les petits plats dans les grands ; Henriette Walter – Editions Robert Laffont.
– Petite et grande histoire des légumes. Éric Birlouez – Edition Quae.
– Histoire des légumes. Georges Gibault – Edition Menu Fretin.
– Etonnantes histoires de légumes et de fi nes herbes ; Bertrand Dumont – Editions multi mondes.
– Dictionnaire littéraire et érotique des fruits et légumes ; Jean-Luc Hennig – Éditions Pocket